Le port artificiel d'Arromanches
Contrairement à la pensée populaire, personne n’a débarqué le Jour J dans ce port de pêche situé au Nord de Bayeux, sur le secteur Gold Beach.
A partir de 3h du matin le 6 juin 1944, un bombardement aérien et naval commence sur la commune, les bombes alliées étant initialement prévues pour frapper la batterie de Longues-sur-mer. Arromanches et ses 240 habitants constituent un des objectifs assignés à la 50th Northumbrian Infantry Division. Le 1st Battalion Hampshire Régiment débarque à 7h30 à l’Est du village, à Asnelles. Cependant les Britanniques doivent neutraliser plusieurs points défensifs allemands dressés sur leur route, notamment au Hamel.
Les troupes alliées arrivent enfin aux environs d’Arromanches vers 16h et sont prises à partie par les 600 défenseurs ennemis. Les combats vont se prolonger dans la soirée avant que les allemands ne rompent l’engagement. Le lendemain seules 6 maisons sont encore intactes après que les dernières escarmouches aient cessé.
Winston Churchill en visite à Arromanches du 21 au 23 juillet 1944. (IWM)
La mise en place du port artificiel.
Faire la guerre efficacement demande aux belligérants une logistique bien huilée, car sur le front, chaque combattant a besoin de 40kg d'équipements par jour. Une division d'infanterie absorbe quotidiennement 300 à 400 tonnes de matériels. Les alliés avaient tenté en 1942 de prendre un port de front à Dieppe. Ce fut un désastre total, ce qui conforta la propagande allemande dans son sentiment que le Mur de l’Atlantique était un obstacle infranchissable. Le premier ministre Winston Churchill considère depuis qu’il est plus judicieux lors du Débarquement en Normandie de trouver une solution alternative afin de ne pas reproduire cette erreur coûteuse en vies humaines. Car à ses yeux, l’attaque du port de Cherbourg pourrait avoir les mêmes conséquences que Dieppe. Après réflexion, Churchill se dit donc que si les alliés ne peuvent capturer un port, alors il faut en fabriquer un ! En 1943 pendant la conférence Rattle à Largs, deux capitaines de vaisseau, Hughes-Hallett et Hussey, présentent les plans d'un immense mécano flottant. Le projet Mulberry est en marche, avec à sa tête Lord Louis Mountbatten, chef des Opérations Combinées. Des ports préfabriqués doivent se monter en Angleterre, puis rejoindre ensuite les côtes françaises.
Pourquoi « Mulberry » ? Parce qu’en français, cela signifie « mûre » et le mûrier est l’arbuste qui pousse le plus vite. Bonne idée, mais non. Ce nom a été choisi totalement au hasard…
Les plans du Génie prévoient deux ports artificiels, un près de Saint-Laurent-sur-mer à Omaha Beach, l’autre face à Arromanches. Les ingénieurs sont ambitieux : les deux édifices devront quotidiennement pouvoir décharger plus de 6 000 tonnes de matériels et 1 250 véhicules, soit la capacité du port de Douvres. Outre cette faculté d’approvisionnement, les Mulberries serviront aussi d’abris aux navires. Les divers éléments sont construits en secret en Angleterre, mobilisant 45 000 personnes et 300 000m2 de béton.
L’efficacité des ports artificiels s’articule en 3 étapes :
- Un brise-lames extérieur flottant fait de bombardons, des radeaux en forme de croix longs de 65 mètres.
- Un brise-lames intérieur : constitué d’une soixantaine de bateaux volontairement coulés (les blockships) et d’énormes caissons en béton, les phoenix.
Ces obstacles forment ce que l’on appelle un Gooseberry et permettent à l’intérieur du port de rester en eaux calmes.
- Sont également prévues des jetées flottantes partant de la plage jusqu’à des plates-formes amovibles d’où les bateaux déchargeront leurs marchandises.
12 juin 1944 : alignement des caissons phoenix à Arromanches. (IWM) |
Septembre 1944 : un convoi d'ambulances emprunte une chaussée flottante du Mulberry B. (IWM) |
Neuf mois s’écoulent et tout est prêt à être convoyé à travers la Manche. Les caissons phoenix, pesant de 1 672 à 6 022 tonnes, attendent sagement au fond de la Tamise, cachés aux regards des espions et de l’aviation ennemis. Ils sont renfloués le moment venu. Les vieux navires destinés à être coulés (les blockships) ont plusieurs avantages : ils font le chemin seuls, économisant ainsi les précieux remorqueurs. Emergeant encore d’au moins deux mètres après avoir été sabordés le 7 juin, leurs cabines pourront aussi servir de zone de vie pour les personnels des ports. Pour l’anecdote, les batteries allemandes aux abords d’Utah Beach coulèrent deux navires destinés à servir de blockships. Ces bateaux sombrèrent à l’endroit exact où ils devaient être sabordés. Radio Berlin se vanta néanmoins de ce grand succès sur les alliés.
Ce même 7 juin, les 115 caissons phoenix sont remorqués depuis la Grande-Bretagne à la vitesse de 6 km/h. Les plus gros mesurent 60 mètres de long, 17 de large et 18 mètres de haut. Ils sont immergés dès le 8 juin dans une ligne d’eau d’au moins 9 mètres et viennent compléter les Gooseberries. Certains de ces mastodontes sont coiffés d’un canon de défense anti-aérienne. Une fois la barrière protectrice en place, les quais d’accostage apparaissent. Ce sont des rectangles d’acier munis de béquilles coulissantes longues de 30 mètres. Suivant ainsi les coefficients des marées, le déchargement des embarcations peut se faire en continu. Certains pontons ont même été aménagés pour accueillir dans leurs entrailles des équipages. De ces quais partent enfin des routes flottantes, posées sur des caissons creux en acier ou en béton. Pour les deux ports, 15 kilomètres de jetées flottantes ont été prévues pour rejoindre les plages. Le 14 juin, les premiers déchargements commencent.
Une tempête met à mal les ports flottants.
Malheureusement, le 19 juin, une tempête de force 6-7 condamne définitivement le Mulberry A d’Omaha et endommage sérieusement le port d’Arromanches. Mais les dégâts sont réparés et dès le 22 juin, 1 200 tonnes de munitions peuvent être convoyées vers les terres.
A partir du 23 juin, le port décharge 6 765 tonnes d’équipements par jour, et monte en puissance pour atteindre 20 000 tonnes/jour fin juillet. Fin octobre, il permet de transporter sur le front 20% des troupes, 15% des véhicules et 25% du matériel nécessaires aux alliés.
Le site d’Arromanches resta en fonction jusqu’au 31 octobre 1944. L’ensablement de ses structures, l’ouverture des ports Belges et le mauvais état des routes normandes contribuèrent à son déclin. A Noël, son démembrement commença et ses passerelles rendirent d’autres services comme celui de réparer des ponts détruits dans l’hexagone. 400 000 hommes, 88 000 véhicules et plus de 800 000 tonnes de matériels empruntèrent ses quais. Des brise-lames furent utilisés sur les 5 secteurs du Débarquement. Aujourd’hui encore sur Sword Beach, le cuirassé Courbet, fleuron de la marine française en son temps, continue de remplir son rôle de blockship face à Hermanville-sur-mer.
La plage d’Arromanches présente encore quelques caissons qui supportaient les routes flottantes.
Au loin, à 2km, une vingtaine de caissons phoenix sont encore visibles.
Entrez dans le Musée du Débarquement.
Construit à l’endroit même où s’était implanté le mulberry B, ne manquez pas le musée du Débarquement inauguré en 1954 par le président René Coty. Le mémorial explique la mise en place et l’utilisation du port artificiel grâce à différentes maquettes, une animation audiovisuelle et un film de 15 minutes. Il permet aussi de comprendre les différentes phases de la Bataille de Normandie qui se sont déroulées jusqu’au crépuscule du mois d’août 1944. Une visite guidée est proposée par des guides très disponibles. Etant l’un des premiers musées sur le D-Day, la collection qu’il recèle réserve quelques belles surprises (la veste et le béret vert du commandant Kieffer, la veste du général américain Gerhardt).
Arromanches vu de St-Côme-de-Fresné. |
Vestiges du port artificiel. |
Le musée du Débarquement. |