Sainte-Mère-Eglise, le jour le plus long du 505th.
Bien qu’une heure du matin soit passée en ce 6 juin 1944, les habitants du village normand de Sainte-Mère-Eglise se pressent sur la place de l’église. Malgré le couvre-feu et alertés par le tocsin, ils ont découvert la maison en feu de Julia Pommier et s’affairent le long d’une chaîne humaine afin de circonscrire l’incendie. Encadrés par les soldats allemands du Grenadier-Régiment 1058, 91. Infanterie-Division, les normands perçoivent un bruit au loin. Depuis 23h, ce vrombissement se fait entendre, mais là, le bruit s’amplifie et annonce le début de la Bataille de Normandie.
Les parachutistes américains débarquent du ciel.
Puis dans la nuit, les civils sont médusés : des avions passent en formation. Une première vague, puis une deuxième venant de l’Ouest survole la péninsule du Cotentin. Les habitants, comme l’occupant allemand, sentaient que quelque chose se préparait, que les alliés allaient bientôt tenter de percer ce Mur de l’Atlantique. Mais ils ignoraient où et quand ?
Il est 1h15 (heure française) et la troisième vague se présente au-dessus de Sainte-Mère-Eglise. Soudain, les C-47 crachent leurs volées de parachutistes, pris pour cibles par les rafales allemandes. Les hommes de la 82nd US Airborne Division s’élancent vers le sol de France, au Nord-Ouest du futur secteur Utah Beach. Le Jour J, les régiments de la division aéroportée ont 3 missions principales :
- Le 505th Parachute Infantry Régiment doit s’emparer de Sainte-Mère-Eglise, codé Brooklyn pour les alliés, et de son réseau de communications stratégiques sur la RN13. Le 505th doit également capturer et tenir deux ponts sur le Merderet, à La Fière et Chef-du-Pont. Puis les paras devront signaler et sécuriser la Landing Zone W pour les planeurs.
- Le 507th PIR doit cloisonner le secteur à l’Ouest du Merderet et soutenir le 505th pour la défense des ponts.
- Le 508th PIR doit détruire les ponts de Beuzeville et former la réserve de la division.
Cependant les tirs de la Flak ennemie et le stress des pilotes de C-47 rendent les largages des parachutistes difficiles. Devant être droppés plus au Sud, vers Sainte-Marie-du-Mont, des membres de la 101st US Airborne Division se retrouvent largués avec leurs camarades de la 82nd Airborne.
Il est 1h15, et ce sont d'abord les boys des 502nd et 506th PIR, 101st US Airborne, qui se balancent au-dessus du bourg de Sainte-Mère-Eglise. Le maire Alexandre Renaud enjoint ses administrés à se rendre aux abris. La F Compagny du 505th arrive ensuite sur le guêpier de la place du village. Les allemands ouvrent le feu sur les corolles flottant au vent. Alfred Van Holsbeck se dirige vers les flammes de la maison Pommier. Il hurle, puis péri dans le brasier. Destinée cruelle, des hommes meurent avant d'avoir touché le sol. Six parachutistes pendent aux arbres, tués dans leurs harnais.
Des scènes rocambolesques dans Sainte-Mère-Eglise.
L’institutrice va aux toilettes quand une ombre imposante apparait. Robert Murphy vient de toucher terre à vingt mètres d’elle. Les arbres de la place de l’église reçoivent la visite du para Blanchard, qui pour se dégager et échapper à la tuerie, sectionne ses sangles et un de ses deux pouces sans s’en apercevoir. Cliff Maughan atterrit dans le jardin de Mr Monnier, le vétérinaire, et est mis en joue par Werner, un officier allemand. Mais ce dernier, comprenant l’importance du largage américain, se rend à son tour au soldat Maughan.
Au coin Nord-Ouest de l’église, John M. Steele reste accroché par son parachute à l’édifice. Quant à Kenneth Russel, sa toile se prend au toit du transept Nord. En essayant de prendre son poignard, Steele le fait maladroitement tomber à proximité d’un allemand. Le feldgrau lève la tête et ouvre le feu sur le para, le blessant au pied. Steele se résout alors à faire le mort pendant deux à trois heures, malmené par le bruyant tumulte des cloches. Positionné dans le clocher, Rudolf May agrippe le parachute de Steele et hisse l’américain hors du vide (fait prisonnier, Steele parviendra à s’échapper deux ou trois jours plus tard. Il souffrira plusieurs semaines de surdité, mais réalisera son quatrième saut de combat lors de l’opération Market Garden en Hollande en septembre 1944).
Aux alentours, des éléments du 505th PIR ont atterri et se sont regroupés pour donner l’assaut. Dans le même temps les allemands sont perplexes face aux évènements. Ils quittent le bourg et partent en direction du Sud vers le château de Fauville.
Le 3/505th avance prudemment dans les rues de la commune, bientôt rejoint par le Lieutenant-Colonel Krause et 158 hommes. Vers 5h, Sainte-Mère-Eglise est aux mains des américains, et pour quelques minutes à 6h30, le drapeau étoilé flotte sur l’hôtel de ville. Vers 9h, 360 paras du 3/505th tiennent le village, retranchés derrière 7 barrages routiers.
Néanmoins, les paras du Général Ridgway doivent empêcher les contre-attaques dans le secteur. Le 2/505th se met en position défensive au Nord, à Neuville-au-Plain. Leur commandant, le Lieutenant-Colonel Vandervoort se déplace dans une remorque à munition, la cheville gauche brisée lors de son atterrissage. Son supérieur, le Colonel Ekman, n’arrivait pas à joindre le 3rd battalion. Inquiet, il a donc ordonné à Vandervoort de rejoindre le groupe de Krause.
Lieutenant-Colonel Edward "Cannonball" Krause, 3/505th PIR (Find a grave) | Benjamin Hayes Vandervoort, 2/505th PIR, le 16 juin à St-Sauveur-le-Vicomte (ROBERT CAPA By Cornell Capa/Magnum) |
Les allemands contre-attaquent.
Les américains doivent encaisser les nombreux assauts des allemands, déterminés à reprendre possession du village et de son nœud routier. Dès 9h30, les combats sont acharnés et les Sainte-Mère-Eglisais paient un lourd tribut pour leur libération. Blessé trois fois dans la journée, Le Lieutenant-Colonel Krause laisse la place à Vandervoort et au Major Hagan. Au crépuscule du D-Day, Sainte-Mère-Eglise est un bastion isolé. Les parachutistes accusent de lourdes pertes et le moral est bas. Le 7 juin, même sans nouvelles du VIIth US Corps débarqué la veille sur Utah Beach, ils doivent tenir leur avantage. Car à 9h, l’artillerie allemande fracasse l’entrée Nord du village. Des blindés s’approchent sur la RN13, mais les paras neutralisent la menace. Enfin, vers 15h, le contact est établi avec des GI’s du 8th Infantry Régiment, 4th US Infantry Division. Après l’emploi d’autres tirs d’artillerie, les allemands relâchent peu à peu leur pression dans la soirée. Après 40 heures de combats, les habitants peuvent souffler et savourer la fin de l’Occupation.
Pour les hommes de la 82nd US Airborne Division, la Bataille de Normandie commence, Sainte-Mère-Eglise n’étant que la première étape d’une campagne qui durera 35 jours.
L'ultime tir du Sergent Ray
Le 6 juin 1944, le Sergent John P. Ray (photo ci-contre) est membre de la Fox Compagny du 505th PIR. Il glisse avec son parachute le long du toit de l’église de Sainte-Mère-Eglise puis chute lourdement. Un autre para de sa compagnie, John Steele, voit sa toile s’accrocher au clocher. Il n'est pas seul, car Kenneth Russel est également en mauvaise posture, lui-aussi resté suspendu un peu plus bas contre le transept de l'église. Un allemand assiste à ces péripéties. Cependant ce dernier remarque aussi au sol le Sgt Ray et fait d’abord feu sur lui, le touchant mortellement à l'estomac. Puis l’allemand vise John Steele et Kenneth Russel. Soudain, le Sgt Ray se redresse et abat son agresseur dans un ultime effort. Il sauve ainsi la vie de ses camarades mais succombe ensuite. Sa tombe se trouve au cimetière militaire américain de Colleville-sur-mer, plot E, rangée 26, tombe 36.
(photo : Site The 82nd Airborne WW2)
De nombreuses traces de la Bataille de Normandie aujourd'hui.
Devant l’église est aujourd'hui placé un monument qui rappelle la libération de la commune par les paras américains. A l’intérieur du bâtiment religieux deux vitraux rendent hommage aux hommes de la 82nd US Airborne Division, et un mannequin placé sur le clocher envoi un clin d’oeil à l’odyssée de John Steele (décédé le 16 mai 1969). Des impacts sont encore visibles sur la façade, car les troupes aéroportées ont dû tirer sur le clocher pour déloger des vigies allemandes.
Vitrail en l'honneur de la 82nd US Airborne, à l'intérieur de l'église. |
L'entrée du bâtiment abritant le planeur Waco, au musée Airborne. |
Rendez-vous à l'Airborne Muséum, à droite de la place de l’église. Trois bâtiments, dont la première pierre fut posée par le Général Gavin en 1962, vous propose de revivre et comprendre les préparatifs et l’action des 82nd et 101st US Airborne Divisions. L’un abrite un planeur Waco, le seul d’Europe. On y voit notamment une réplique d’un rupert, ces mannequins largués lors de l'opération Titanic pour leurrer l’ennemi allemand. L’autre abrite un C-47, et des bornes présentent une riche documentation sur la libération du village. Deux films racontent les évènements de l’opération Overlord.
Une extension a été inaugurée en mai 2014 et permet aux visiteurs de s'immerger dans l'épopée des paras américains aux premières heures de la Libération de la France. Devant l’accueil (ou se trouvait la fameuse maison en flammes), un Char américain Sherman et un canon sont exposés.
A l’intérieur du village une dizaine de panneaux jalonnent les rues et racontent les évènements passés. La commune regroupe également plusieurs magasins de militaria, qui font le bonheur des amateurs de tous horizons.
Sainte-Mère-Eglise abrita le premier cimetière américain de la Libération et regroupait 13 000 dépouilles (photos ci-dessous). En 1948, les corps furent rapatriés soit aux Etats-Unis, ou déposés aux cimetières de Saint-James et Colleville-sur-mer. Une stèle commémorative près du complexe sportif marque depuis l’emplacement ou il se trouvait auparavant (voir l'article Les cimetières provisoires américains de Sainte-Mère-Eglise).