Les commandos à l'assaut de Ouistreham le 6 juin 1944.
Insigne du 1er Bataillon de Fusiliers Marins Commandos,
créé par Maurice Chauvet, badge N°119.
Une ville sécurisée par les allemands.
Ouistreham Riva-Bella et ses innombrables villas du bord de mer. Ouistreham et son casino prisé par des touristes libérés par les congés payés. Ouistreham, station balnéaire renommée à une quinzaine de kilomètres au Nord de Caen, posée à l'embouchure de l'Orne et du canal de Caen. Mais ça, c'était avant. Avant que la guerre n'éclate et que l'occupant allemand n'apparaisse dans ses rues.
Les allemands comprennent que la ville est une position stratégique dans leur système de défense et y installent de l'artillerie et des pièces de Flak. Puis en 1942, l'organisation Todt, en charge de l'édification du Mur de l'Atlantique, passe la vitesse supérieure. Une centaine de villas sont rasées et laissent la place à 80 ouvrages bétonnés renforcés par des pièces d'artillerie. Le long de la plage, deux souterrains permettent d'accéder à l'ensemble. Au milieu de ce No Man's Land étroitement surveillé se dresse un imposant poste de direction de tirs haut de 17 mètres. Ce PDT communique avec une batterie postée près du château d'eau.
Quant au casino, il est lui aussi victime du besoin sécuritaire teuton et est détruit en 1943. Ses sous-sols subsistent, sur lesquels une épaisse chape de béton vient prendre place. L'ensemble, haut d'1m50 depuis le sol, est coiffé par un tobrouk pour MG42 et un encuvement pour pièce de Flak de 20 mm.
Le port n'échappe pas non plus aux travaux : un complexe de bunkers, tobrouks et canons interdisent toute tentative de capture. Il faut dire que ses quais accueillent 15 dragueurs de mines et un escorteur de la 10. Räumboots-Flottille.
Enfin, deux unités sont en charge de la garde de la commune : le I/Grenadier-Regiment 736 (716. ID) et le I./1260 Heeres-Künsten-Artillerie-Abteilung (artillerie côtière de l'armée de terre).
Les commandos débarquent sur la plage.
En ce gris matin du 6 juin 1944, une incroyable armada s'avance, inexorable, contre la Forteresse Europe. Face à Sword Beach et à Colleville-sur-Orne (aujourd'hui Colleville-Montgomery), les Britanniques et le N°4 Commando se dandinent dans leurs embarcations ballottées par la mauvaise mer. Parmi cette première vague d'assaut, une petite troupe est singulière, une goutte d'eau symbolique parmi les 150 000 hommes qui vont aujourd'hui poser le pied sur les plages normandes. Eux aussi ont subi l'exigeant entraînement des instructeurs du camp d'Achnacarry en Ecosse. Eux aussi ont gagné le droit d'arborer le béret vert et de participer à la plus grande opération amphibie de tous les temps. Mais à la différence des autres, eux connaissent bien le pays où les alliés vont débarquer. Eux, ce sont les 177 français du 1er Bataillon de Fusiliers Marins Commandos, intégrés au N°4 Commando, 1st Special Service Brigade. A l'approche des côtes françaises, leurs cœurs se serrent lorsqu'ils devinent bientôt la Normandie à l'horizon. Pour ces 177 irréductibles, l'heure de la revanche a sonné.
Tout cela, le commandant du N°4 Commando, le Lieutenant-Colonel Dawson, l'a bien saisi. Aussi permet-il aux deux barges abritant les français, les Landing Craft, Infantry, Small N°523 et 527, de prendre un peu d'avance afin de débarquer les premières.
Le LCIS 523 transporte la Troop 8 du Lieutenant Alexandre Lofi, et la moitié de la section K-Guns du Lieutenant Pierre Amaury, soit 83 hommes. L'autre partie de la K-Guns et la Troop 1 du Lieutenant Guy Vourch, soit 81 bérets verts, sont eux sur le LCIS 527. L'embarcation embarque aussi l'état-major du bataillon, soit 13 hommes, avec à sa tête un banquier de 44 ans natif d’Haïti, le commandant Philippe Kieffer.
Aux environs de 7h30, les deux barges heurtent le sable au lieu-dit La Brêche, face à Colleville-sur-Orne. Les français ont maintenant un peu plus de deux kilomètres à parcourir vers l'Est avant d'atteindre leur objectif, le fameux bunker du Casino de Ouistreham.
Les retrouvailles avec l'hexagone sont musclées. Alors que les commandos débarquent, un canon allemand de 50 mm ouvre le feu et fracasse l'avant gauche du LCIS 527, blessant tous les officiers de la Troop 1. Le 523 se met alors à couple et ses passerelles permettent aux survivants de mettre pied à terre. Prestement, le 1er BFMC franchit les 150 mètres de plages et la barrière de barbelés à l'aplomb des dunes. Ils doivent maintenant atteindre les ruines d'une colonie de vacances. Cependant entre eux et le bâtiment se dresse un champ de mines. Prudemment, les commandos avancent en file indienne. Et étonnamment, aucun piège ne se déclenche à leur passage.
A l'abri dans les murs de la colonie, les français reprennent des forces et se débarrassent de leur imposant sac à dos et ses 30 kilos d'équipements. Moment aussi propice pour faire le tour des effectifs. 26 hommes sont blessés, dont Kieffer, touché par un éclat d'obus. Plus grave, 3 camarades manquent à l'appel : les commandos Dumenoir, Rousseau et Flesch sont restés sur la plage, Killed in Action. Mais pour l'heure, la mitraille n'autorise pas à pleurer un frère d'armes tué au combat.
Les bérets verts de Kieffer progressent dans Ouistreham.
Il est déjà 8h15 et la troupe se remet en marche vers Ouistreham. Puis deux groupes se forment. La Troop 8 et une section K-Guns se dirigent vers le Nord afin de prendre les défenses de plages allemandes à revers et les neutraliser. En route, les français sont la cible de snipers. Touchés par balle, Marcel Labas et le Lieutenant Augustin Hubert ne se relèveront pas. Aux abords du château, la guerre prend fin également pour Jean Letang. Une balle a touché et fait sauter les grenades que le badge N°105 avait fixé à son ceinturon. Néanmoins les hommes du Lieutenant Lofi nettoient les casemates à coup de grenades et de lance-flammes, permettant ainsi aux alliés de débarquer plus sereinement.
Plus au Sud, sur la route de Lion-sur-mer, la Troop 1 et 4 Troops britanniques prennent le chemin du centre-ville. Après avoir emprunté la ligne du tramway, les britanniques doivent s'emparer du port et de ses écluses. La Troop 1 se chargera du bunker du casino.
Au carrefour de la rue Pasteur et de la route de Lion-sur-mer, une de ses sections tourne à gauche et se porte vers la chicane barrant l'accès à l'entrée Sud du blockhaus ennemi.
Paul Rollin s'élance dans le couloir. A la sortie, un sniper allemand patiente, à l’affût. Le commando Rollin reçoit alors une balle en plein front, s'écroule, mais gémit encore. Le Capitaine-Médecin Lion et son infirmier Bollinger* (Bolloré) accourent et saisissent le commando afin de l'abriter et le soigner. Le sifflement d'une balle, puis le médecin tombe à son tour, touché en plein cœur.
Avec leurs lance-roquettes PIAT, les bérets verts ciblent les embrasures du bunker, avec succès. Mais leur satisfaction est de courte durée, car ils ont été repérés par des artilleurs ennemis juchés sur un belvédère voisin. Un obus de 88 pulvérise la maison où s'étaient tapis les commandos de Montlaur, Lardenois et Renault. Si les deux premiers ont eu tout juste le temps de se carapater avant l'explosion, Emile Renault est retrouvé dans les décombres, affreusement mutilé. Près de la rue Pasteur, le commando Le Moigne gît lui aussi à terre, tué d'une balle.
Le bunker du casino résiste toujours, mais un civil va contribuer à changer la donne. Marcel Lefevre, 57 ans et vétéran de 14-18, vient à la rencontre des soldats français et livre une information cruciale. Notre homme sait ou se trouve la ligne téléphonique souterraine reliant les défenses allemandes locales. Grâce à ses indications les commandos détruisent les communications et isolent ainsi le bunker du reste du dispositif défensif germanique.
Il est maintenant 9h30 et le 1er BFMC touche presque au but. Soudain, un char du 13/18th Hussars apparaît, le commandant Kieffer trônant près de sa tourelle. Analysant la situation, l'officier ordonne à la Troop 8 de rappliquer afin de prendre à revers la fortification. Puis le tank tire par deux fois contre le bunker, parvenant alors à faire taire ses canons, mais pas ses armes automatiques. La tourelle fait ensuite mouvement et envoie quatre obus contre le belvédère qui s'affaisse. Les commandos jubilent mais pendant la canonnade, Kieffer a été de nouveau blessé à l'avant-bras.
Néanmoins s'en est trop pour les défenseurs. Mains levées, les allemands sortent par grappes à l'air libre. Le reste du N°4 Commando s'affaire au port et le contrôle des écluses va donner du fil à retordre aux Britanniques. Il est 11h30 et les armes commencent à se taire dans Ouistreham. Le commando Kieffer a rempli ses objectifs, mais la journée n'est pas finie. La 1st Special Service Brigade doit maintenant aller à la rencontre des paras Britanniques de la 6th Airborne qui ont capturé les ponts de Ranville et Bénouville. Ce sera chose faite, mais au crépuscule du Jour J, le commando Kieffer aura payé un lourd tribut pour la libération de son pays. Le 1er BFMC enregistre une soixantaine de blessés, dont 33 ont été retirés du front. Mais surtout, il déplore la mort de dix de ses membres : Raymond Dumenoir, Raymond Flesch, Emile Renault, Paul Rollin, Jean Rousseau, Jean Letang, Augustin Hubert, Marcel Labas, Jean Louis Le Moigne et le médecin Capitaine Robert Lion. Le 9 juin, à contre-coeur, ce sera au tour du commandant Philippe Kieffer d'être évacué vers l'Angleterre afin de panser ses blessures. Au terme de la Bataille de Normandie le 21 août, seuls 24 des 177 braves qui débarquèrent le 6 juin 1944 ne furent pas blessés. Et 21 firent l'ultime sacrifice de leur vie. La liberté à un prix, et dans cette guerre, les « fighting french commandos » ne se seront pas défilés.
Monument commémoratif en l'honneur du 1er Bataillon de Fusiliers Marins Commandos, près de la flamme du souvenir. |
Léon Gautier, badge N°98 du 1er BFMC, présent à Colleville-Montgomery en 2012. |
Voir le diaporama sur le N°4 commando dans la Seconde Guerre Mondiale
Aujourd'hui la Bataille de Normandie est encore bien présente.
Aujourd'hui, des dents de dragons sont encore présentes en arrière de la plage à côté du casino. Un vitrail, réalisé par le peintre Raymond Bradley, se trouve dans l’église du XIe siècle et commémore également le courage des commandos.
Sur le front de mer est élevé depuis 1984 le monument de la flamme inauguré par François Mitterand et qui salue l’héroïsme des bérets verts français. Il est installé sur l’emplacement ou se tenait un ancien blockhaus surmonté d’une tourelle blindée à l’origine utilisée sur la ligne Maginot. Une halte est également obligatoire dans le musée du N°4 Commando, qui grâce à une vidéo et de multiples scénographies retrace l'épopée des bérets verts.
Le lieutenant entend des voix
Le Lt Bob Orrell (photo : La rougerie tours)
Même si les alliés ont conquis Ouistreham, ils ne sont pas pressés d’occuper son grand Bunker et ses 17 mètres de haut. La priorité est d’avancer la ligne de front au sud de Sword Beach et de s’emparer de la ville de Caen. Qui plus est les environs du poste de direction de tirs ont été ravagés par les bombardements et sont envahis de mines, y stationner est hors de question. Les troupes l’ignorent donc et le contournent.
Seulement l’effort de guerre demande beaucoup de matériel et ce grand bunker peut cacher de bonnes surprises. Trois jours après le Débarquement, le 9 juin, le génie anglais décide de s’intéresser au contenu de ce point fortifié. Le lieutenant Bob Orrell est membre des Royal Engineers, 91 Field Company 3rd Beach Group, rattachés à la 3rd Canadian Division. Il se présente à 22h avec trois hommes et des explosifs devant ses lourdes portes closes, bien décidé à explorer le paisible colosse.
Trois kilos d’explosifs placés sur les gonds d’une des deux portes blindées ne libèrent pas l'entrée. Une nouvelle charge augmentée de cinq kilos, beaucoup d’huile de coudes et quatre heures plus tard, Orrell et ses camarades pénètrent enfin dans le bunker. Les sapeurs avancent prudemment entre les caisses de grenades et d’équipements quand soudain une voix s’élève des niveaux supérieurs et leurs dit dans un parfait anglais : « Viens en haut, Johnny, tout va bien ! »
Interloqué car pensant le site abandonné, le Lt. Orrell répond en cramponnant son PM Sten : « Plutôt crever, c’est vous qui descendez !?! » Ce dernier est fébrile car il n'a en encore jamais fait usage de son arme.
Il voit alors venir vers lui et se constituer prisonniers deux officiers allemands, puis suivent 51 soldats ! Se sachant encerclés et perdus, ils ont festoyé pendant trois jours. Ouistreham est alors totalement libérée et en effet son grand bunker renfermait bien une trouvaille.
Ne manquez pas la visite du grand bunker (ci-dessous), situé au milieu des habitations, derrière la route côtière. Sur cinq niveaux, revivez la vie de la garnison allemande qui occupait ce Poste de Direction de Tir. Des défenses de plages y sont exposées et au dernier étage, vous pouvez jeter un oeil dans le télémètre. Les plus aventureux peuvent se rendre à son sommet à l’endroit où se tenait un canon de 20 mm et jouir d’une splendide vue sur la région.
Le télémètre permet de voir à 45 kilomètres sur 180°. | Vue de la plage de Ouistreham par le 5ème niveau du grand bunker. |
*Breton de 18 ans le Jour J, Gwenn-aël Bolloré a pris un pseudonyme lors de son engagement dans les commandos, ceci afin que ses proches ne subissent les représailles allemandes. Amateur de champagne, il choisit de devenir le commando Bollinger.