Les forces navales alliées du débarquement en Normandie.
Depuis 1940, la Manche protège l'Angleterre d'un débarquement terrestre des forces de l'Axe. Cependant en juin 1944 cet atout naturel et capricieux devient un problème que la marine alliée, épiée par la surveillance allemande, va devoir surmonter. Car le Jour J, elle doit projeter plus de 130 000 hommes au pied du Mur de l'Atlantique.
170 kilomètres*. Les alliés ont en moyenne 170 kilomètres à couvrir depuis les ports du Sud de l'Angleterre jusqu'aux plages normandes. 170 kilomètres que plus de 133 000 fantassins vont devoir avaler, ballottés par les creux marins formés par le mauvais temps. Une traversée passée à lutter contre le mal de mer et à scruter l'horizon dans la crainte d'une attaque de la Kriegsmarine ou de la Luftwaffe. Ou des deux réunies... Les allemands ont-ils repéré sur leurs écrans-radars l'armada alliée et découvert le pot-aux-roses ? L'opération Bodyguard a-t-elle échoué ? Empêchant ainsi Eisenhower d'ancrer sa tête de pont sur les côtes françaises.
Depuis janvier 1943 et la conférence de Casablanca donnant le feu vert et les grandes lignes d'Overlord, Eisenhower et son état-major planchent sur la logistique d'une traversée réussie du fameux obstacle anti-char que représente la Manche. Depuis 1940 et son vœu de conquérir la Grande-Bretagne, Hitler s'est assez cassé les dents sur cette barrière naturelle. Alliée depuis 1939, la Manche devient dans la réalisation de l'opération Neptune, la partie amphibie du plan Overlord, un adversaire en 1944 qu'il va falloir dompter.
Cependant Eisenhower part avec un atout considérable, à savoir la quasi-maîtrise des mers, les alliés ayant gagné la Bataille de l'Atlantique. Les U-Boote, les loups gris de l'Amiral Dönitz, ne sont plus les terreurs qui semaient la mort jusqu'aux abords de New-York. Les alliés ont appris à repérer et à couler ces sous-marins. Décimés, les U-Boote ont perdu tout crédit aux yeux du Führer. D'abord force d'attaque et de harcèlement, ils n'ont plus l'initiative et ont été depuis divisés par Dönitz en deux unités de défense : le groupe Landwirt, en France, et Mitte en Norvège. Quant à la Luftwaffe, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même.
Angleterre, début juin 1944 : les jeeps américaines sont chargées sur des LCT, tandis que les
camions et les DUKWs, plus grands, ont pris place dans des LST (US Nationales Archives)
Depuis 1943, les convois maritimes d'approvisionnement entre les Etats-Unis et l'Angleterre, les Liberty-ships, circulent avec une sécurité croissante, escortés par d'importantes forces navales. Dès lors, le tonnage marchand supplante les pertes causées par les U-Boote. L'opération Boléro est déclenchée : le corps expéditionnaire américain traverse l'Atlantique, direction les îles britanniques.
Pour encadrer et déposer la force d'assaut sur les 5 secteurs de débarquement, Le SHAEF** doit composer une flotte d'invasion de près de 7 000 bâtiments. Les usines tournent donc à plein régime pour fabriquer les transports de troupes. Il faut aussi assurer le bombardement naval contre les défenses côtières, seulement il faut combler les vides dans les positions d'artillerie navale. Le commandant de la flotte américaine, l'Amiral King, convoque donc les vieux cuirassés Arkansas, Texas et Nevada, plus une flottille de destroyers afin de faire le compte. Il parvient à rassembler 865 navires, quand de son côté, la Royal Navy arrive à mobiliser une flotte de 3 261 bâtiments.
L'Amiral Bertram Ramsay est à la tête de cette armada scindée en deux parties : la Western Task Force de l'Amiral Kirk destinée aux deux secteurs américains Utah et Omaha, et l'Eastern Task Force de l'Amiral Vian pour les trois secteurs anglo-canadiens. 15 à 20 navires de guerre pour chaque Task Force et les avions du Coastual Command font office de gardes du corps. La Royal Canadian Navy et d'autres marines en exil (France, Pologne, …) apportent également leur concours. Le personnel engagé dans les équipages de tous ces navires est impressionnant : près de 53 000 personnes côté américain, 112 800 pour le Royaume-Uni, et non loin de 5 000 personnes pour les autres alliés. Si l'on ajoute les 25 000 membres des équipages des navires marchands, on arrive à un total de plus de 195 000 personnes affectées à l'opération Neptune.
Admiral Sir Bertram Ramsay |
Rear Admiral A. G. Kirk |
Rear Admiral Sir Philip Vian
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Afin d'améliorer la coordination de toutes les unités, deux exercices d’entraînement ont été organisés avec plus ou moins de succès au printemps 1944 : l'opération Tiger le 27 avril (749 morts suite à l'intervention de 9 vedettes lance-torpilles allemandes) et l'opération Fabius le 3 mai.
Le 4 juin, la côte Sud de l'Angleterre s'anime. De Plymouth jusqu'à Newhaven, les navires s'avancent vers le continent. La force amphibie se rassemble sur la zone Z, au Sud-Est de l'île de Wright. Puis le 5 juin au soir elle se divise en 10 convois. Seulement l'approche du littoral normand est dangereuse, car constellé de champs de mines par les allemands. Ces convois vont donc circuler sur 10 chenaux (deux par force d'assaut) ouverts par les dragueurs de mines. Pendant ce temps en Mer du Nord, afin de contrer d'éventuelles patrouilles de la Kriegsmarine, 2 cuirassés, 8 croiseurs et 20 destroyers sillonnent les flots.
Entre 2 et 3 heures du matin le 6 juin, tapie dans une brume artificielle, l'armada alliée se pose hors de portée des batteries côtières à environ 17 km de nos côtes. Puis peu avant 5h30, les canons des navires de guerre de l'Eastern Task Force envoient leurs obus fracasser les défenses du Mur de l'Atlantique. Dix minutes plus tard, c'est la Western Task Force qui se fait entendre contre les batteries allemandes. Le cuirassé Nevada cible la batterie d'Azeville, le Texas s'occupe de la Pointe du Hoc, tandis que l'Ajax ouvre le feu sur la batterie de Longues-sur-mer. Dans le même temps côté britannique, deux sous-marins de poche de la Royal Navy mènent à bien l'opération Gambit en signalant les zones de débarquement.
La flotte alliée s'avance en bon ordre vers les plages françaises le 5 juin 1944 (IWM)
Depuis les bases de l'Atlantique, 16 U-Boote se portent à la rencontre des alliés. Mais l'aviation anti-sous-marine est efficace et seulement 6 parviennent à rejoindre la Manche. Au Nord, 25 autres U-Boote partent de Norvège, mais là encore le Coastual Command fait merveille : la moitié de ces sous-marins est neutralisée. Les pertes pour les rescapés de ce premier barrage vont être terribles : 8 autres submersibles sont envoyés au fond de la Manche. Tout juste les U-Boote survivants peuvent-ils se consoler avec un maigre tableau de chasse : deux frégates, un pétrolier et quelques cargos. Le responsable des défenses germaniques, le Maréchal Rommel, accusera le coup et exprimera son désarroi dans ses rapports : « L'activité de la marine n'a pas répondu aux prévisions. »
Dans leurs blockhaus, sonnés mais pas anéantis, les défenseurs allemands se retrouvent face à une marée d'acier de 6 939 navires :
- 1 213 bâtiments de guerre
- 4 126 navires de débarquement
- 736 navires auxiliaires
- 864 navires marchands
Dès 3 heures du matin, les troupes des 5 forces d'assaut ont été transbordées dans les bâtiments de débarquement (ou Landing Crafts, voir ci-dessous). Les creux de 12 mètres rendent la manœuvre difficile pour les personnels trempés et alourdis par leurs équipements. Certains se blessent gravement quand d'autres manquent leur saut et disparaissent dans les vagues. Heureusement les garde-côtes veillent. Sur une proposition du président Roosevelt, 60 vedettes en bois de la 1st USCG Rescue Flotilla ont intégré les Task Forces. Car les unités d'assaut ont ordre de foncer vers la plage, sans se soucier des naufragés. Grâce à l'intervention des garde-côtes, 1 437 soldats et une infirmière ont la vie sauve.
Vers 6h, trois bateaux allemands approchent depuis Le Havre. Cette incursion ennemie est réglée par le cuirassé Warspite, qui coule un assaillant, faisant alors fuir ses deux acolytes. Un fort courant d'Est fait dévier les péniches, et l'infanterie se retrouve parfois à terre sur le secteur voisin de celui qui lui est normalement assigné. Néanmoins, à partir de 6h30, la mise au sol des troupes s'effectue malgré les obstacles de plage et les explosions.
Sur tous les secteurs les unités débarquées progressent, sauf sur Omaha Beach. Plage encaissée entre deux falaises, les GI's sont cloués sur le sable par les tirs croisés des MG, des mortiers et des snipers. Vers 9h, la situation y est si critique que sur l'Augusta le général Bradley, commandant la first US Army, envisage le repli des soldats vers les autres secteurs. Pour emporter la décision, les destroyers américains et britanniques se rapprochent au plus près du rivage et arrosent d'obus les points de résistance ennemis, donnant un avantage décisif aux attaquants (voir message du Col. Talley, ci-dessous).
Outre l'appui feu et l'acheminement des troupes d'assaut, la marine alliée a aussi un rôle de ravitaillement du front. Ainsi pendant la Bataille de Normandie, jusqu'à 4 257 navires vont mouiller aux abords des 80 km de la tête de pont. Ils répondent aux besoins logistiques croissants des armées de libération, et assurent la navette vers l'Angleterre des blessés et des prisonniers de guerre.
Concernant les pertes navales du plan Overlord, on estime que du 6 au 30 juin, les alliés ont eu 59 navires coulés et 120 bateaux endommagés. Cependant, en assemblant la plus grande force navale de l'Histoire, Eisenhower donna corps à son espérance. Une confiance qu'il exprima dans un ordre du jour adressé le 6 juin 1944 aux troupes du corps expéditionnaire : « Vous allez vous embarquer pour la grande croisade vers laquelle ont été mobilisés tous nos efforts depuis de longs mois. Les yeux du monde sont fixés sur vous. Les espoirs, les prières de tous les peuples épris de liberté vous accompagnent. Avec nos valeureux alliés et nos frères d'armes des autres fronts, vous détruirez la machine de guerre allemande, vous anéantirez le joug de la tyrannie que les nazis exercent sur les peuples d'Europe et vous apporterez la sécurité dans un monde libre. »
Ce-jour-là, sa marine lui donna un sacré coup de pouce.
LCA, LCVP, LST : des chiffres et des lettres
Si vous vous intéressez au D-Day, vous avez sans doute déjà croisé ces sigles : LCVP, LST et autres LCI. Autant d'abréviations désignant des navires de débarquement que l'on peut avoir du mal à comprendre. Voici donc le B.A.-BA sur les "fonds plats", par ordre croissant de taille :
- LCVP (Landing Craft Vehicle, Personnel) : péniche de 11 m avec coque en contre-plaqué pouvant emporter jusqu'à 36 hommes debouts en armes, ou un petit véhicule, comme une Jeep. Elle est servie par 3 ou 4 marins (1 pilote+2 mitrailleurs+1 transmetteur). Transportée dans un LST, ce chaland est mis à l'eau à plusieurs kilomètres de la plage.
- LCA (Landing Craft, Assault) : embarcation britannique de 12.5 m pouvant emporter 30 à 35 hommes, similaire au LCVP, mais avec un blindage. Utilisée le 6 juin sur les secteurs anglo-canadiens et par les Rangers.
- LCM (Landing Craft, Mechanized) : ce transport existe en plusieurs tailles et sert à convoyer un char ou un camion, ou 60 hommes équipés. Le Jour J, il embarque les équipes du Génie dont la mission est d'anéantir les obstacles de plage.
- LCT (Landing Craft, Tank) : Véritable navire britannique pouvant embarquer 4 à 5 blindés ou camions, et un officier accompagné par 12 marins. Le 6 juin, beaucoup tractent un LCM et sont chargés de Tankdozers du Génie ou de chars non-amphibies.
- LCI (Landing Craft Infantry) : Muni d'une rampe à la proue, il peut loger dans ses 48 m 200 hommes armés pendant 48h, car muni de couchettes sous le pont. Les soldats débarquent au moyen de 2 étroites passerelles flanquant la proue. Le 6 juin, à cause de leur taille, ils sont plutôt utilisés pour convoyer la seconde vague d'assaut.
- LST (Landing Ship Tank) : plus gros bâtiment à fond plat chez les navires de débarquement (119 m), il peut transporter 2 000 tonnes d'hommes et d'équipements et les décharger par ses grandes portes de proue. Doté d'une DCA, son équipage de 160 hommes peut convoyer 2 à 6 LCVP. Un LST peut aussi servir de navire-hôpital.
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*à vol d'oiseau de Portsmouth à Courseulles-sur-mer (Juno Beach)
**Suprême Headquarters Allied Expeditionary Force : quartier général des forces alliées en Europe
Bibliographie et sources :
Atlas du Débarquement et de la Bataille de Normandie, de John Man, éd. Autrement
Jour J, de Warren Tute, John Costello et Terry Hughes, éd. Albin Michel
Jour J à l'aube, les troupes d'assaut américaines en Normandie, de Jonathan Gawne, éd. histoire et collections
Le Jour J, éd. Nov édit
Dictionnaire du Débarquement, éd. Ouest France
Site web du D-Day Museum de Portsmouth