La revanche des Canadiens en Normandie
Entre Langrune-sur-mer et Graye-sur-mer, cet espace de 9 km est dévolu aux troupes canadiennes de la 3ème division d’infanterie.
Ses fonds et son rivage rocheux sont censés procurer une sécurité naturelle aux défenseurs allemands.
La garnison allemande et le Mur de l'Atlantique
La défense est assurée sur ce secteur par la 716. Infanterie-Division, dont les effectifs sont abordés dans le volet concernant Omaha beach.
14 000 obstacles de plages piégés doivent repousser le débarquement allié. Malgré la présence de casemates, de canons et de mitrailleuses, cet endroit est moins défendu par rapport aux autres de la région. Les responsables allemands considèrent que la barrière rocheuse est un rempart dissuasif contre toute incursion amphibie.
Les forces alliées du débarquement
La mission d’invasion doit être assurée par la 3e Division d’Infanterie Canadienne du Major-Général Keller (15 000 canadiens et 9 000 britanniques). Trois brigades la composent :
- La 7e brigade débarquera à l’ouest, à Graye et Courseulles avec à sa tête le brigadier Foster
- La 8e brigade, commandée par le brigadier Blackader, arrivera à Bernières et St-Aubin-sur-mer
- La 9e brigade reste en réserve et ne doit débarquer qu’à H+4 et H+6
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Des blindés de la 2ème Brigade et les chars spéciaux de la 79e Armoured Division sont prévus : crabe, AVRE, DD (voir Sword Beach)
le général Keller (à droite) passe en revue les troupes
Nom de code Juno :
La zone a été divisée en Trois sous-secteurs, Nan à l’Est de Courseulles et Mike à l’Ouest.
Après avoir assuré la jonction avec les autres secteurs britanniques, la division se voit assigner deux grands objectifs :
- libérer la ville de Caen
- s’emparer de l’aérodrome de Carpiquet
Revoir la France ce 6 juin 1944
Les troupes des 8e et 7e Brigades arrivent à terre peu avant 8h du matin avec 20 minutes de retard du fait de la mauvaise mer. Les soldats Canadiens ont un fort désir de revanche car nombre d’entre eux se rappellent leurs origines françaises. De plus, ils ont hâte d’effacer le désastre de l’opération Jubilee du 19 août 1942 devant Dieppe (ce jour là, 6 100 Canadiens et Britanniques tentèrent de s’emparer de front de ce port, le résultat fut 3 500 soldats tués, portés disparus ou faits prisonniers). Ses hommes font preuve d’une grande motivation. En effet, avant l’entrée en guerre du Canada, son armée ne comptait que 8 000 soldats dans ses rangs en 1939. Face à la menace fasciste et suite à la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne, des milliers d’hommes se sont pressés dans les bureaux de recrutement du pays. Ainsi, en cette année 1944, l’armée Canadienne recense désormais plus de 1 million de combattants. Le 6 juin 1944, les troupes Canadiennes sont exclusivement formées de volontaires, une singularité dans les rangs alliés. Ses unités sont parfois formées par des américains qui ont franchi la frontière pour s’engager avant l’entrée en guerre de l’oncle Sam en 1941. On remarque aussi des Irlandais, des Ecossais, des Polonais ....
6 juin 1944 : des fantassins canadiens, lancés du NCSM Prince Henry, attendent de débarquer (archives du Canada).
Les hommes sont accueillis par un violent tir d’artillerie et sont pris à partie par les défenses du Mur de l'Atlantique restées intactes malgré le bombardement préliminaire. De part et d’autres de la Seulles, d’importants points de résistance ont été établis par les hommes du Maréchal Rommel. Des canons de 88 et les nids de MG se tiennent prêts à renvoyer une nouvelle fois en Angleterre les Canadiens. Un mur de ciment se dresse également en arrière de la plage, elle même prise en enfilade par d’autres calibres Allemands. Nombre d’embarcations vont être éventrées par les obstacles de plage immergés par la marée. 90 péniches sur les 306 que compte la force d’assaut sont détruites. Ce témoignage d’un Sergent du corps des sapeurs nous éclaire sur les conditions d’accostage* :"Notre embarcation est juste arrivée à bon port ! Mais nous avions rencontré un obstacle dont on ne nous avait pas parlé : des troncs d’arbres enfoncés dans les bas-fonds avec des obus à l’extrémité. Et au moment où notre rampe s’abaissait, elle a changé d’idée et s’est relevée ! L’eau s’est engouffrée par l’avant et nous avons coulé. Là, nos marins se sont distingués. Ils étaient 4 à bord : nous avons entendu 4 plouf, et nous n’avions plus d’équipage. Mais l’un d’entre eux avait pris un cordage qu’il a fixé, une fois à terre, à un hérisson, et nous nous en sommes servi pour gagner la côte avec nos deux blessés. Les balles sifflaient de partout. C’était une plage sablonneuse, avec des dunes ou poussait l’herbe. Vue de la mer, elle avait l’air vraiment inhospitalière : on distinguait un peu plus haut des barbelés et des casemates."
Initialement prévus pour avancer devant l’infanterie, plusieurs chars amphibies ont coulé, décision est donc prise de les faire débarquer plus tard. Sous les ordres du Général Foster, la 7ème Brigade s’avance vers Courseulles. Les sapeurs du génie peinent à dégager les obstacles de plages et à ouvrir les sorties. Les fantassins, exposés et en manque de soutien blindé, doivent faire preuve de ténacité et de courage face au hachoir des mitrailleuses Allemandes. Puis les chars amphibies accostent. Débarqué sur la gauche du port de Courseulles, le sergent Gariepy* constate :" Je me suis retrouvé être le char de tête... J’étais le premier à aborder, et les allemands nous ont accueillis à la mitrailleuse. Mais quand nous nous sommes arrêtés sur la plage, ils ont compris soudain, en nous voyant nous débarrasser de notre enveloppe de toile et du dispositif de flottaison, que nous étions un char (en effet avec sa jupe gonflée, un char D.D ressemble à une grande baignoire, sa tourelle étant masquée par la toile ). Ils ont vu que nous étions un Sherman. Ce fut la stupeur. Je me rappelle parfaitement que certains servants de mitrailleuses se sont dressés pour nous regarder, la bouche grande ouverte."
Les hommes progressent tant bien que mal et Courseulles est libéré à 10h. A l’est, à Bernières, la lutte de la 8ème Brigade du Général Blackader est âpre. Les hommes du Queen’s Own Rifles perdent 143 des leurs dans l’offensive. Finalement, la commune tombera vers 9h30 au prix des plus lourdes pertes humaines pour le débarquement sur Juno Beach.
Les canadiens débarquent à Bernières
La 9e brigade du Brigadier D.G. Cunningham y débarque en renfort en fin de matinée et se déploie.
Les troupes canadiennes progressent dans les terres.
Le Général Keller descend du HMS Hillary et s’y rend à 12h45 pour avoir une vue précise de la situation, et se rend compte des embouteillages monstrueux sur les plages. Les hommes doivent progresser plus vite vers l’intérieur et laisser la place aux autres !
C’est à ce moment que le Brigadier Foster qui commande la 7e brigade informe l’Etat Major que les secteurs Nan et Mike sont dégagés de tout allemand. Les Canadiens avancent rapidement car les ennemis se sont fait rares une fois dépassé les plages.
St-Aubin-sur-mer et Langrune-sur-mer ne verront les alliés défiler dans leurs bourgs que le soir. Les chars ont dû livrer de difficiles combats de rues afin d’éteindre les foyers de résistance ennemis.
Les soldats arrivés sur Juno progressent dans les terres
Au même moment, des éléments avancés du First Hussard arrivent aux abords de Carpiquet, à Secqueville, mais doivent faire demi-tour face aux allemands. La prudence ordonne aux canadiens de faire machine arrière et de créer une solide ligne de défense à 7kms du littoral, en prévision d’une contre-attaque de la redoutable 21. Panzerdivision basée autour de Caen. Ses blindés empêchent toujours la jonction entre la 3ème division d’infanterie Canadienne et sa consoeur Britannique arrivée sur Sword Beach. Un fait insolite s’est passé dans ce couloir entre Lion sur mer et Caen, entre les 2 secteurs. La compagnie d’infanterie du 192ème Grenadier part de la préfecture du Calvados et fait route vers le littoral. Les Allemands parcourent les 15kms qui les séparent de la mer et arrivent sur la côte vers 20h, à Lion sur mer. Là, ils observent le débarquement, tranquillement, sans attirer l’attention. Ils pourraient attaquer, mais ne le feront pas. En effet la 21ème Panzerdivision a eu de lourdes pertes pendant la journée, il faut pour le commandement allemand privilégier la défense de Caen. De plus, l’opération alliée codée Mallard vient de débuter. Des centaines d’avions survolent le secteur, direction les terres afin de soutenir les troupes aéroportées Britanniques. La compagnie fait donc demi-tour passé 21h pour éviter de se retrouver encerclée et rentre vers Caen. Pendant leur trajet, bien que cernés par des milliers de Canadiens à l’ouest, et de Britanniques à l’est, les Allemands ne verront aucun soldat ennemi ! Le 6 juin, ils ont donc parcouru 30kms en pleine zone d’invasion alliée sans être inquiétés...
Pendant ce temps, 21 400 soldats auront retrouvé le sol français et la ligne de front se situe à 7kms de la côte, mais 1 074 canadiens manquent à l’appel, dont 359 sont tombés au champ d’honneur.
Ces 2 soldats ont gardé un souvenir de leur débarquement
Au sud-est de Creully, en fin de journée, les hommes serrent la main des troupes de la 50th Infantry Division, débarquée sur le secteur Gold Beach. Mais les troupes arrivées sur Sword sont encore inaccessibles dans la soirée. Caen et son aérodrome sont encore bien loin. Il faudra un mois pour prendre l’aérodrome, alors que le soir du 6 juin, il était à portée de tir. La préfecture du Calvados ne tombera que le 19 juillet.
La détente après la tension des premières heures
*Extraits du livre Jour J, de Warren Tute, aux éditions Albin Michel