6 juin 1944 : les américains souffrent sur Omaha Beach.
Ce secteur rendu célèbre pour ses combats sanglants le jour J est formé par un vaste plateau et s’étend entre Saint Honorine des Pertes et la pointe de la Percée. La pointe du Hoc est évoquée dans l’itinéraire dévolu à ce secteur.
Cet espace de plus de 6 kilomètres se trouve encaissé de chaque côté entre des falaises hautes d’une trentaine de mètres. Sur la plage, découverte à plus de 300 mètres à marée basse, on remarque des canaux parallèles au rivage, pouvant aller jusqu’à 1m20 de profondeur. Passé le sable, on observe un talus de galets, qui fut un abri providentiel pour les assaillants américains.
A l’aplomb de ces plages, après avoir passé des pentes parfois abruptes, nichent trois villages : à l’Ouest, Vierville-sur-mer, au centre Saint-Laurent-sur-mer, et plus à l’Est Colleville-sur-mer.
Des défenses allemandes renforcées derrière le Mur de l'Atlantique
Ce secteur dégagé est propice à un débarquement, et le responsable des défenses de plages sur le littoral, le maréchal Rommel, le sait bien. Il s’est donc organisé en conséquence :
Deux divisions d’infanterie occupent le terrain :
- La 716. Infanterie-Division : dirigée par le Generalleutnant Wilhelm Richter, c’est une division qui n’enregistre pas tous ses effectifs et dont le niveau de combativité est relativement discutable. En effet, elle est composée de jeunes recrues, de soldats âgés ou malades. On y trouve également des fantassins de différentes nationalités : polonais, russes. On devine que ces derniers sont moins enclins à défendre le IIIe Reich que leurs collègues allemands. Il faut savoir que l’effectif théorique d’une division est de 14 000 soldats, hors à la veille du débarquement, la 716. ne compte que 7 771 hommes. La division a eu le temps de se familiariser avec son secteur de défense puisqu’elle y a pris position dès 1942.
- La 352. Infanterie-Division : commandée par le Generalleutnant Dietrich Kraiss. Elle est constituée elle aussi de soldats aguerris, de jeunes et d’hommes originaires des pays de l’est. 12 800 fantassins prennent placent en Normandie et constitueront une mauvaise surprise pour l’Etat Major allié qui ignora jusqu’au 6 juin sa présence dans ce secteur, malgré son signalement faite par la résistance française le 4 juin.
plage de Vierville avant le D-day
Les 5 000 km de littoral à l’Ouest doivent être protégés par des défenses multiples, dont la charge incombe à l’organisation Todt. Créée en 1938 par Friz Todt, alors ministre du Reich pour l"armement et les munitions, cette structure oeuvre de 1942 à 1944. Cette dernière année, 1 360 000 ouvriers civils réquisitionnés ou des prisonniers participent à la mise en place de ces défenses.
Le Généralfeldmarshall Erwin Rommel, nommé en 1943 par Hitler inspecteur général des défenses côtières, s’aperçoit rapidement que le mur de l’atlantique imprenable vanté par la propagande de Goebbels n’est en fait qu’une vaste fumisterie. Bien des points de défense ont besoin d’être rapidement renforcés. Car il en est persuadé, les alliés, s’ils tentent de débarquer, poseront le pied sur le sol français ici, en Normandie. Il pousse alors l’organisation Todt d’accélérer les fortifications des 12 points défensifs légers du secteur d’Omaha. Ces Widerstandneste, ou WN, peuvent être dénommés WN 60, près de Colleville, jusqu’au WN 74 après Vierville. Le 6 juin 1944, ils seront pourvus de canons de 75 mm et de 88 mm, de tobrouks avec tourelles de chars, et les fameux MG 34 et 42 dévastateurs. Le tout entouré de barbelés et de champs de mines.
Sur les plages, Rommel a veillé à multiplier les obstacles pour déjouer les débarquements des embarcations ennemies :
- Des pieux en bois plantés dans le sol et coiffés de mines antichar pour éventrer les navires. ( photo ci dessous )
- Des hérissons tchèques contre les chars.
- En haut de plage des fossés antichar.
- Des portes belges, censées déchirées les embarcations.
- Des dents de dragons.
- Des char téléguidés bourrés d’explosifs appelés Goliaths
les hérissons tchèques |
Les forces américaines du débarquement
La force d’attaque prévue sur ce secteur a pour nom de code Force O, pour Omaha beach. Appartenant à la First US Army, commandée par le général Omar Bradley, deux divisions, déjà présentes pendant la première guerre mondiale en France, vont s’attaquer à cette étendue de plage : la 1st et la 29th US Infantry Division.
le général d’Armée Omar Bradley prendra une décision difficile mais décisive pour la réussite d’Overlord
- La 1st Infantry Division : présente lors du débarquement en Afrique du Nord en 1942, c’est une division expérimentée. Commandée par le Major General Clarence R Heubner, la Big red one aura en charge la partie la plus à l’est du secteur.
- La 29th Infantry Division : emmenée par le Major General Charles H Gerhardt, cette division retrouvera le sol français dès 6h30 au matin du 6 juin.
- Les Rangers : A l’ouest d’Omaha, si l’opération de la prise de la batterie sur la pointe du Hoc par 3 compagnies du 2nd bataillon échoue, les renforts prévus seront redirigés vers Omaha Beach. Cette vague d’attaque est constituée par le 5th bataillon et les 2 compagnies restantes du second bataillon.
Nom de code Omaha :
L’enfer sur le sable de Normandie pour les américains
Le ciel est bas ce mardi matin, la mer est mauvaise. Avec 24 heures de retard du fait des mauvaises conditions météorologiques, le général Eisenhower, commandant suprême du corps expéditionnaire allié que ses hommes surnomment Ike, a finalement approuvé le lancement de l’opération Overlord ce 6 juin 1944. Ces hommes, fers de lances des 1st et 29th infantry division, serrés dans ces péniches trop étroites et alourdis d’un équipement conséquent, s’apprêtent à mettre le pied contre cette porte normande. Ils sont à bord depuis 4h30 et couvrent la dizaine de kilomètres qui les séparent du mur de l’atlantique. Ce débarquement en Normandie doit être un succès, car après avoir posé pied à terre, filé droit vers l’est et Berlin, botté les fesses de Hitler, ils pourront composter leur billet retour et revoir enfin leurs familles, là-bas, si loin. Parmi ces braves se tiennent les frères Bedford et Raymond Hoback et le lieutenant Elijah Nance, tous trois venus de Virginie et membres de la compagnie A du 116th régiment dont la cible est Vierville, face à dog green. Plus au large, sur le cuirassé Augusta, le général Bradley, commandant la first US Army, attend anxieux le début des combats.
Les hommes de la big red one attendent anxieux l’ouverture de la rampe.
Ce cliché ainsi que les 4 suivants ont été pris par les gardes côtes.
En face, les défenseurs allemands des 716e et 352e infanteries divisions, censés être anéantis par les bombardements aérien et naval préalable à l’arrivée des péniches, sont simplement étourdis. L’aviation alliée, de peur de toucher les GI’s, a largué trop en arrière de ses objectifs ses bombes dévastatrices. Pendant tout le mois de mai 1944, les allemands avaient enduré d’incessantes alertes d’invasion sur les côtes. N’entendaient-ils pas dans toutes les églises et commerces les rumeurs de plus en plus audibles : c’est pour bientôt ! D’accord. Mais ou ? Et quand ? Pas maintenant, la mer est trop capricieuse et la veille, le temps était encore exécrable. D’ailleurs Rommel est reparti en Allemagne pour l’anniversaire de madame. En ce frais matin de juin, pourtant, lorsque les vigies portent vers 5 heures leurs regards à l’horizon et voient émerger d’un brouillard artificiel plus de mâts que tous leurs doigts ne peuvent compter, ils ont la réponse. Prévue à tort par leur hiérarchie dans le Pas de Calais, ils doivent faire face à la plus formidable machine de guerre jamais mis en mouvement. Et de ces masses grises qui se dandinent au large, d’innombrables éclairs foisonnent tout à coup. Le bombardement naval commence.
L’écume envahi les embarcations américaines, certains soldats écopent avec leurs casques pendant que d’autres prient ou vomissent. Ca y’est, ils y sont ! Le 16th régiment de la 1st infantry division se portera sur le flanc gauche, à l’Est. Le 116th régiment de la 29th infantry division se chargera lui du flanc droit, soutenu par les rangers. Des Chars amphibies doivent les accompagner pour les soutenir dans leur progression vers les blockhaus ennemis. Il est 6h30 lorsque les 1 450 chanceux de la première vague d’assaut arrivent aux abords de la plage d’Omaha. Que vont-ils trouver lorsque la rampe protectrice de la péniche s’abattra ? Une route dégagée vers la paisible campagne normande, ou l’enfer ?
Déjà, plusieurs bateaux ont été touchés par des tirs de mortiers. Certains ont été littéralement coupés en deux, d’autres fument et s’enfoncent dangereusement dans les flots pendant que leurs équipages sautent par les côtés dans un instinct de survie. Heureusement les gardes côtes veillent et repêchent nombre de soldats en péril. Cependant beaucoup d’autres jeunes hommes coulent à pic, emportés par le poids de leur barda. Les combattants ont ordre de ne pas se dérouter de leur route pour secourir les naufragés. Laissez faire les gardes côtes leur a-t-on dit pendant les précédents briefings.
L’officier debout à gauche essai de visualiser l’objectif de sa section d’assaut. |
Secteur Easy Red à 07h00. Vue vers le LCVP PA26-15. Les hommes ont déclenché une grenade fumigène. |
Heure H. Les péniches raclent le fond normand, les marins abaissent les portes et hurlent aux GI’s de foncer. Horreur ! Les défenses allemandes sont intactes ! Leurs occupants, remis du choc du bombardement, déversent un feu terrible sur les assaillants. La marée est encore basse, les GI’s ont encore 300 mètres à couvrir pour se mettre à l’abri. Les obstacles de plages n’offrent qu’un salut relatif face aux balles des MG, voir un piège perfide car beaucoup sont minés. Et ou sont-ils ? Ils ne reconnaissent pas le secteur qu’ils ont minutieusement étudié sur les photos. En effet un fort courant d’est a fait dériver les embarcations de leurs cibles initiales, ce qui désoriente l’infanterie. Et les chars de soutien, ou sont-ils ? La plus grande partie a coulé en mer à cause de la houle. Sur Dog Green, 8 tanks sont anéantis sur la plage sans avoir pu aider efficacement les troupes US. Et quelle est cette division allemande ? La 352. ? Elle ne devrait pas être là ! Un rapport de la résistance française avait pourtant été transmit aux services de renseignements alliées faisant état de la présence de cette division alors en manoeuvre dans le secteur. La première vague est anéantie, les officiers sont tués ou blessés. Les premiers rapports font état de plus de 90% de pertes.
La première vague arrive en vue d’Omaha beach | Les marins ont donné le signal et abaissé la porte. Les GI’s découvrent la fournaise normande. |
Cette tragique journée va endeuiller la ville de Bedford en Virginie, peuplade de 3 200 habitants lovée au pied des Appalaches. 30 Bedford boys sont incorporés à la compagnie A du 116th régiment de la 29th ID, dont l’objectif est le sous-secteur dog green. La compagnie G qui doit débarquer à ses côtés sur dog white va se retrouver à plus d’un kilomètre de là à cause des forts courants d’est. La compagnie A va donc se sentir bien seule face aux points fortifiés de Vierville. A 4 500 m du littoral, les 7 embarcations s’avancent et subissent les premiers barrages d’artillerie. Arrivé à 1 000 m, le LCA N°5 coule, sur 27 occupants, 6 se noient avant l’arrivée des secours. Les autres sont repêchés et débarqueront quelques jours plus tard. Ils ne savent pas encore que cette avarie leur sauve probablement la vie. A 100 m du but, le LCA N°3 est touché à son tour par un obus. Deux GI’s sont tués par l’impact, 6 autres se noient. La compagnie ne compte plus que 5 péniches, et elle n’a toujours pas accosté. A 6h36, les hommes se ruent enfin hors des bateaux, mais ils sont pris sous un déluge de feu croisé. Aucun abri salutaire, aucun répis, les survivants et les blessés légers doivent retourner dans l’eau pour s’y cacher et essayer d’éviter la mitraille, pendant que la marée montante emporte les morts et pousse les vivants vers un funeste destin. Et les hommes du LCA N°6 ? La péniche a disparu. On retrouvera plus tard la moitié de cette section sur la plage. La mer a rendu ces noyés, mais a gardé les autres.
6h42. 7 minutes après l’offensive la compagnie est décapitée. Seul le lieutenant Elijah Nance survit encore bien que blessé 3 fois. Le LCA N°7 apparait, sa rampe s’abaisse face aux tireurs allemands. Personne ne touchera la plage, tous à l’intérieur sont criblés par les mitrailleuses germaniques. Un quart d’heure après l’assaut, personne n’a encore tiré. Survivre devient la priorité, ou plutôt un miracle. Il est un peu plus de 7 heures ce mardi matin, et les deux tiers de la compagnie A ont disparu. Le lieutenant Nance témoignera plus tard : " Je me suis retourné, et j’ai vu les corps dans l’eau. Ils se heurtaient les uns aux autres. Il y’en avait tant ... J’étais seul en France." La compagnie est dès lors déclarée inapte au combat. A 7h30, elle devait être bien en vue au sommet des falaises de Vierville. A 7h30, elle enregistre 80% de pertes. Sur les 170 hommes qu’elle compte, 91 sont morts, 64 sont blessés. La ville de Bedford a 30 hommes dans cette compagnie. 19 perdent la vie ce 6 juin 1944. Les 2 frères Hoback, Raymond et Bedford comptent parmi les pertes. Seulement 6 Bedford Boys qui posèrent le pied sur Omaha survécurent.
Dans ce chaos se trouve Robert Capa, reporter pour le magazine Life et vétéran de la guerre d’Espagne. Dès que la rampe de sa péniche tombe sur easy red, il est tétanisé par le spectacle. Un marin, le prenant à tort pour un soldat récalcitrant, le jette hors du bateau. Avançant sous la grêle mortelle, il parvient à se mettre à couvert et à réaliser 106 clichés de l’attaque, avec toujours en tête cette phrase qu’il martèle pour apprivoiser sa peur : « C’est une affaire très sérieuse ! ». Après quelques instants, succombant à l’épouvante, il réussi à rembarquer dans un LCI et à regagner l’Angleterre.
Sur les 106 photos prises par Robert Capa, seules 11 sont utilisables.
Dans la précipitation liée à l’évènement, leur développement a été désastreux.
(ROBERT CAPA/MAGNUM PHOTOS) via Wikipédia
Sur l’Augusta, l’Etat-Major américain, le Général Bradley en tête, voit les rapports alarmants s’amonceler. Que faire ? S’il décide de stopper les opérations sur ce secteur, il pourra réaffecter les troupes sur les plages de Gold et d’Utah. Mais cette décision sous entend qu’un trou béant sera alors établi dans la tête de pont. Un sérieux caillou dans la chaussure du commandement allié mais une aubaine pour le maréchal Rommel prompt à refouler tout ce petit monde à la mer. Le temps passe et la catastrophe s’annonce retentissante et périlleuse pour l’ouverture du second front occidental tant demandé par Staline.
Omar Bradley va alors prendre une décision salvatrice pour la réussite de l’invasion sur Omaha Beach. Les navires doivent remplacer les chars manquant cruellement à l’infanterie. Leur mission est de s’approcher au plus près de la côte et d’effectuer des tirs tendus sur les casemates germaniques afin de soulager les soldats décimés à terre. La marine s’exécute avec rapidité et précision et constitue un soutien appréciable. Les lourds croisers, les imposants destroyers labourent de leurs coques le fond marin et envoient des milliers d’obus fracasser ces allemands trop tenaces. Les unités fraichement débarquées, emmenées par des officiers résolus, reprennent l’initiative et commencent à avancer vers les hauteurs. Le colonel Taylor, commandant le 16th régiment de la first infantry division, arrive sur easy red. Prenant du recul sur la situation, il lance cette tirade célèbre : « Deux espèces d’hommes restent sur cette plage : les morts et ceux qui vont mourir ! Foutons le camp d’ici ! » En parallèle, les sapeurs du génie ouvrent des brèches dans les défenses et déminent le terrain, facilitant l’afflux des renforts, mais au prix de lourdes pertes.
Ainsi, la décision commence à changer de camp, facilité par le fait que les défenseurs teutons commencent aussi à être à cours de munitions. Le colonel Talley, resté dans une péniche en tant qu’observateur, peut alors adresser ce message à son supérieur, le général Gerow, commandant le Ve corps US, en attente sur l’Ancon : « Je me joins à vous pour remercier dieu pour notre marine. »
L'Arkansas fait feu sur Omaha Beach le 6 juin 1944 (US Nationales Archives) |
Le fameux message du colonel Talley ( musée d’Arromanches ) |
Vers 9h30, l’infanterie débute son ascension vers les hauteurs de Colleville, St-Laurent et Vierville. A 11h, le colonel Taylor peut ordonner aux chars d’emprunter la sortie E3 vers Colleville. Irrémédiablement, le rouleau compresseur allié broie les velléités ennemies. Vierville tombe vers Midi sous l’impulsion du général Norman Cota, commandant adjoint de la 29th infantry division. A 14 heures, 3 sorties de plage sont ouvertes : la D1 à Vierville, la E3 près du WN 62 à Colleville et la F1 près du WN60.
En fin d’après-midi, le général Heubner commandant la first infantry division installe son PC sur easy red. Dans le même temps, le général Gerhardt, de la 29th infantry division s’établi à Vierville. Au soir du 6 juin 1944, on ne peut dire qu’un front solide s’est fixé sur Omaha. Des poches de résistances allemandes subsistent toujours et les escarmouches seront légions pendant les heures suivantes. Finalement, Colleville sur mer et St-Laurent ne seront libérés que le 7 juin en matinée. La veille, plus de 34 000 soldats ont débarqué sur la plage.
Omaha Beach reste pour l’Etat-Major américain comme une catastrophe humaine et militaire évitée de justesse. Concernant les pertes US, les chiffres évoqués sont encore divergents. On estime néanmoins que 3 000 combattants américains ont été blessés ou ont perdu la vie sur ces 6 kms de sable. Le mauvais temps, une division ennemie non prévue et aguerri, un soutien d’artillerie défaillant dans les premières heures, le sacrifice ultime des soldats alliés et la résolution de leurs commandants. Autant de paramètres qui ont donné à ce morceau de France le nom d’Omaha la Sanglante.
Un cadavre repose au pied d’un obstacle. | Les soldats accostent plus tranquillement dans l’après-midi du 6. |