La batterie allemande de Crisbecq/Saint-Marcouf
L’histoire de cette batterie allemande du Mur de l'Atlantique, rendue célèbre par le livre "Ils arrivent", mérite que l’on s’y attarde :
A l’origine batterie de l’armée de terre armée de canons de 155 mm, l’ensemble fut mis en place en 1942 à 700 mètres du village de St-Marcouf dans la Manche. Puis la marine pris le relais en 1944 sur ordre du Maréchal Rommel et y installa trois canons Skoda de 210 mm d’une portée de 33 kilomètres. Forts d’un débattement de 120°, les pièces tirent des obus lourds de 135 kg à la cadence de un par minute. La batterie est alors rattachée au Marine-Artillerie-Abteilung 260. Le 6 juin 1944, seuls deux de ses canons sont mis sous casemate, le troisième est à ciel ouvert et le quatrième n’est pas opérationnel. Elle comporte également 4 pièces de 75 de DCA, 4 de 20 mm et un canon de 105 mm. Deux postes de direction de tirs ont été édifiés. En effet, la batterie voisine D’Azeville en est dépourvue, le second PDT lui est donc dédié.
Le site normand est servi par 3 officiers, 24 sous-officiers et 287 marins commandés par le l’Oberleutnant zur See Ohmsen et est protégé par la 6ème compagnie du lieutenant Giessler du 919. Infanterie Regiment. Au total, 400 hommes composent la garnison du complexe.
Le premier tir des canons Skoda est effectué le 19 avril 1944. Cependant, suite à un mauvais pointage des servants, le premier obus tombe dans le village voisin des Gongins et occasionne des pertes civiles.
Les canons de la batterie tonnent contre la marine alliée.
Crisbecq constitue la seule batterie d’artillerie lourde de la région, elle représente donc un objectif prioritaire pour le SHEAF : Le premier bombardement allié a lieu dans la nuit du 19 au 20 avril. Entre cette date et le 6 juin, 2 800 tonnes de bombes s’abattent sur la batterie du Cotentin. Plus précisément dans la nuit du 5 au 6 juin, 101 avions larguent 598 tonnes de bombes en 35 minutes. Les pièces de 75 sont hors d’état, de même qu’un des canons de 210. Dans le même temps, Giessler est mis au courant des largages de parachutistes américains sur ce secteur proche d'Utah Beach. Ils envoi des hommes en reconnaissance, et ses derniers reviennent effectivement avec entre leurs mains 20 paras du 502nd PIR, 101st US Airborne Division, et un lieutenant du 508th PIR, 82nd US Airborne Division.
Le 6juin 1944 à l’aube, le commandant Ohmsen remarque la flotte alliée sur Utah dans son télémètre et à 5h52, ses premiers coups de canons se font entendre. Les croiseurs USS Tuscaloosa, Quincy et le destroyer Nevada pilonne la batterie. Le commandant Ohmsen réplique, et vers 6h30, l’USS Corry est coulé. Sur 284 marins du navire, 24 trouvent la mort et 60 sont blessés.
Les cuirassés Texas et Arkansas se joignent à la bataille et à 9 heures, un obus fait mouche et tue tous les servants d’un des canons Skoda. Deux canons sur trois sont endommagés, le premier ayant été touché vers 8 heures. Seul reste opérationnel le canon en position de campagne placé derrière une des casemates. Néanmoins à 11 heures la troisième pièce tire toujours et a pour cible Utah Beach ou débarquent les GI’s américains.
Vue aérienne de la batterie en 1944. (US National Archives) |
St-Marcouf, 6 juin 1944 : le Capitaine Kenneth L. Johnson, 508th PIR, s'entretient avec 2 résistants. (conseil régional de Normandie) |
Plusieurs jours de résistance après le Débarquement.
Le 7 juin le 22nd Infantry Division (4th ID) tente de prendre la position mais c’est un échec cuisant. Les assaillants sont repoussés par deux canons de 75 mm de flak replacés en position de tirs terrestres. A 16 heures, le Capitaine Shields donne l’ordre de repli face à une contre-attaque allemande soutenue par la batterie d’Azeville.
Le 8 à 13h30 débute un nouvel assaut américain. Les GI’s parviennent à pénétrer dans l’enceinte ennemie, les allemands ayant juste le temps de saborder le dernier canon tchèque qu’ils avaient pourtant réparé pendant la nuit. Ohmsen n’abdique pas et demande à 16 heures à la batterie d’Azeville de les prendre pour cible afin de disperser les assaillants. Azeville s’exécute avec son seul canon de 105 encore valide et une pluie d’obus s’abat sur les positions tenues par les alliés. Les allemands sortent après ce déluge de feu et font 98 prisonniers américains, et récupérant au passage leur précieux matériel.
Le 9 juin, Azeville se rend, mais Ohmsen et ses hommes tiennent toujours malgré l’encerclement de l’ennemi et les bombardements naval et aérien des P-47.
Le 10 juin, les américains continuent leur harcèlement malgré le manque d’effectifs mais la garnison allemande tient bon. Cependant cette dernière reçoit dans la soirée du 11 l’ordre d’abandonner la batterie et ses canons hors d’usage. Les hommes d’Ohmsen sont dépourvus de munitions et de matériel médical. Dans la nuit du 12 juin, le commandant et 78 marins se replient en laissant 21 blessés et 126 prisonniers américains. Ils traversent les marais, direction le village de Lestre et atteignent leurs lignes vers 3 heures du matin.
Vers 8h20, les américains attaquent la batterie et la trouve vide. Les jours suivants, le génie américain procède à des tests de résistance sur les casemates : Des charges sont placées sur l’une d’elle, mais le dosage des explosifs et bien trop élevé. L’explosion est phénoménale, le canon de 40 tonnes est éjecté à 20 mètres (photo ci-dessous). La soute à munitions part aussi en fumée le 21 août 1944 : un soldat pénètre à l’intérieur avec une cigarette, ce qui engendre le désastre et coûte la vie à une douzaine d’hommes. Quant au commandant Ohmsen, il sera finalement capturé le 26 juin à Cherbourg lors de la reddition des troupes germaniques de la ville.
Aujourd’hui, un canon factice a remplacé les pièces tchèques, car les canons d’origine ont fait le bonheur des ferrailleurs dans les années 50. |
Trou béant dans l’entrée d’un blockhaus. |
Aujourd'hui un musée dans la batterie allemande.
Dans les années 70, la DDE nivelle le sol et les arbres s’approprient l’endroit. Il faudra toute la ténacité de Deux passionnés pour redonner un aspect cohérent au lieu. Philippe Tanne et Clovis Vaultier rachètent le site en 2004, puis ils drainent les abris et leurs 50 cm de vase, refont les peintures et remettent le courant.
Le site vaut le détour, car 21 blockhaus brillamment restaurés, reliés par un kilomètre de tranchées refaites, vous propose de revivre la vie de la garnison de l’époque par le biais de vitrines bien fournies et de découvrir ce vaste espace de quatre hectares. Le poste de commandement de tir se trouve en face du parking de la batterie. En saison estivale, les propriétaires proposent également aux visiteurs des reconstitutions avec la participation de centaines de figurants et de nombreux véhicules. Le spectacle raconte l’arrivée des allemands sur le secteur jusqu’à la libération alliée.