Les Rangers attaquent La Pointe du Hoc le 6 juin 1944
Beaucoup considèrent que la Pointe du Hoc est un secteur à part entière, à l’instar d’Omaha où d’Utah Beaches. Toujours est-il que l’action héroïque des Rangers qui s'y est déroulée en 1944 et le lieu tel qu’il est conservé aujourd’hui constituent une étape incontournable du visiteur en Normandie.
Trois vieilles femmes suffiront-elles ?
La batterie de la pointe, avec ses 6 canons français de 15,5 cm d’une portée de 18 kilomètres, peut prendre sous son feu les plages d’Omaha et d’Utah Beach. La position fortifiée, située au sommet d’une falaise haute d’une trentaine de mètres à proximité du village de Saint-Pierre-du-Montdans le Calvados, est défendue par 140 fantassins et 80 artilleurs. Qui plus est, le secteur est entouré de barbelés et de champs de mines empêchant tout assaut amphibie et terrestre. A la veille du Débarquement allié en Normandie, seules 2 casemates sur 6 sont construites pour protéger les canons. Bien que ciblé par des bombardements en avril et mai 1944, les dégâts ont été minimes sur l’éperon rocheux. Pour les américains, le but est donc d’arraisonner la batterie par un assaut venu de la mer.
Le poste de tirs de la Pointe du Hoc en 1944. (US National Archives)
Cette tâche difficile est confiée aux Rangers dont les effectifs ont été divisés en trois Task Forces =>
- La Task Force A, composée par 225 hommes de la compagnie de commandement et des D, E et F Compagny du 2nd Ranger Battalion, et des membres d'une Naval Shore Force Control Party (NSFCP où détachement naval de contrôle côtier). Un commandant texan, le Lieutenant-Colonel James Rudder, dit Big Jim, est à la tête de cette force d'attaque.
- La Task Force B, la C Compagny du Capitaine Goranson.
- La Task Force C : le 5th battalion du Lieutenant-Colonel Schneider, plus les A et B Compagny et un détachement de la compagnie de commandement du 2nd battalion. Une NSFCP ainsi qu'une équipe d'appui aérien complêtent cette force C.
Leur mission est périlleuse. La Task Force A doit approcher la falaise à 6h30, escalader la paroi à l’aide d’échelles et de grappins, neutraliser la garnison allemande et détruire les canons. Une fois les hauteurs sécurisées, les Rangers doivent tirer une fusée éclairante à 7h pour signifier leur succès. Si tel est le cas, les renforts du 5th battalion et des A et B Compagny du 2nd battalion restés en mer viendront les rejoindre à 7h30, ceci afin de repousser les contre-attaques allemandes et attendre les renforts.
Car à 6h30 la Task Force B, la C Compagny, doit débarquer sur Omaha face à Vierville-sur-mer et rejoindre la Pointe du Hoc sur ses arrières avec le 116th Infantry Regiment, 29th US Infantry Division.
Mais un plan B a également été imaginé : si la marine ne constate pas de signal lumineux où d’appel radio de la Task Force A à l’heure prévue, le commandement considérera que les Rangers ont échoué et déroutera les 450 hommes du 5th battalion et les A et B Compagny du 2nd battalion vers Omaha Beach. Laissant ainsi les survivants sur la pointe à leur sort. Les Task Forces B et C pousseront alors vers la batterie par les terres.
La réussite de cette mission est importante, car les canons de la Pointe du Hoc peuvent freiner, voire contrecarrer le débarquement du Vème Corps sur Omaha Beach. Cinq mois auparavant à Londres, l'état-major exposa son plan d'attaque aux futurs participants du coup de main. Un officier des renseignements s'exclama alors : "C'est impossible ! Trois vieilles femmes avec des balais pourraient empêcher les Rangers d'escalader cette falaise." Rudder comprit l'importance de cette mission. S'entretenant avec le Général Bradley, commandant la first US Army, il confia à son supérieur : "Sir, mes Rangers peuvent faire ce boulot pour vous."
Les Rangers approchent de la Batterie allemande
Les Rangers s’embarquent dans des LCA et des DUKW et se dirigent vers leur objectif, précédés par les salves bruyantes des canons de marine qui envoient leurs obus fracasser la batterie. Le Colonel Rudder dira plus tard : "On aurait dit que des jeeps dérapaient dans le ciel !"
Malheureusement tout se complique ensuite. En effet le bombardement aérien et naval de 700 tonnes de bombes sur la batterie n’a réussi qu’à choquer les soldats germaniques, bien enfouis dans leurs abris. De plus, les marins chargés de débarquer les Rangers se trompent de falaise et naviguent vers la Pointe de la Percée. Ils s’aperçoivent de leur bévue et font demi-tour pour refaire le chemin parallèlement à la côte, sous les yeux des défenseurs allemands qui peuvent alors se préparer à les accueillir.
Les américains prennent pied sur les galets à un peu plus de 7h et mettent en place leurs grappins et leurs échelles. Sans nouvelles de Rudder, la Task Force C s'est déroutée et est en train de débarquer sur Omaha Beach.
Pendant leur ascension, les 3 compagnies sont soumises à la mitraille et aux explosifs diverses. Des cordes sont sectionnées, des corps chutent sur la bande rocheuse. Au large, le destroyer Satterlee envoie ses tirs sur les hauteurs et constitue un soutien appréciable.
Au sommet c’est un paysage lunaire qui attend les américains, plus rien ne ressemble à ce qu’ils ont étudié sur les photographies. S’en suit alors de farouches corps à corps pour la possession du site.
Les Rangers progressent et sont alors frappés de stupeur : aucun canon en vue, les encuvements sont vides où abritent un simple madrier de bois. Des patrouilles se déploient vers le Sud. Vers 9h, les canons sont découverts, camouflés dans un verger à 2 kms en arrière de la position, et cela depuis le 26 avril 1944. L’artillerie est détruite à coups de grenades à la thermite.
Vers midi, Rudder demande des renforts et fait état de ses lourdes pertes depuis son débarquement. La réponse laconique du Général Heubner, commandant la 1st US Infantry Division, lui parvient une heure plus tard : pas de troupes disponibles.
Lieutenant-Colonel James Earl Rudder, commandant du 2nd Ranger Battalion. (US National Archives) |
Les Rangers grimpent à l’aide d’échelles de cordes.(US National Archives) |
Les américains doivent tenir jusqu'à l'arrivée des renforts.
Les américains, soutenus par le navire Satterlee, doivent tenir le secteur pendant deux jours et repousser de nombreuses contre-attaques des 352. et 716. Infanterie-Divisionen. Bien qu’encadré par les obus Allemands, le Satterlee reste en place et par ses tirs précis, il permet aux hommes de tenir en position défensive. Le 7 au soir, des avions alliés apparaissent dans le ciel avec pour mission de bombarder la zone, car l’état-major pense à tort que tous les Rangers ont été supprimés. Les pilotes sont surpris de voir en contrebas des hommes les interpeller en agitant les bras autour d’un drapeau américain étendu à même le sol. Constatant qu’on se bat encore sur la falaise, l’aviation abandonne son objectif et prend alors la direction de la Manche.
Les survivants voient le 8 juin vers midi venir à eux le 116th Infantry Régiment et les Task Force B et C, appuyés par des blindés. Quatre rangers de Rudder sont d’ailleurs tués et six autres blessés par des "tirs amis". En effet, à cours de munitions, ils ont utilisé des armes allemandes. Ce qui entraîne des méprises avec la relève venue d’Omaha qui pense faire face à des ennemis.
Lorsque l’on fait les comptes, même si les hommes des 2nd et 5th battalions ont fait preuve d’un grand courage, le bilan est terrible : 675 rangers ont débarqué sur les côtes normandes, 77 furent tués, 70 sont portés disparus et 152 sont blessés. Soit 45% de pertes.
Sur les 225 braves du 2nd battalion qui prirent d’assaut la batterie à l’aube du 6 juin, seuls 90 sont encore en état de combattre à l’issue de cette mission. Seuls 51 hommes n’ont pas été touchés lors de l’assaut. Et bien que blessé deux fois, le Colonel Rudder restera sur le terrain.
De retour sur le site quelques années plus tard, le Général Eisenhower, chef suprême du corps expéditionnaire allié, lâcha : "il fallait en avoir dans le ventre pour escalader ces falaises ce jour-là."
Deux paras au milieu des Rangers
Chose incroyable, des paras de la 101st US Airborne Division ont participé au coup de main. Initialement ils devaient être parachutés autour de Sainte-Marie-du-Mont sur Utah Beach. Seulement les largages sont difficiles et périlleux. Ils sont 4 du 506th PIR à avoir atterri aux abords de la pointe du Hoc, à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau de leur objectif. Membres de la I Compagny, leur avion s'est crashé en mer après avoir été touché par la Flak et ils ont dû sauter précipitamment. Le Lieutenant Floyd Johnston et le para Niels Christensen se posent sur la falaise. Blessé, le lieutenant réussi à rejoindre les lignes alliées mais Christensen est capturé par les allemands. Les deux autres sont les paras Raymond Crouch et Leonard Goodgal qui posent pieds en contrebas dans 30 centimètres d’eau. Arrivés sur les galets ils longent le rivage afin de trouver un endroit propice à l’escalade et essayer de savoir où ils se trouvent. Cependant les bombardements alliés aérien et naval commencent. Bientôt ils voient approcher des embarcations d’où sortent d’autres américains, des rangers. Le colonel Rudder remarque ses deux hommes et sait que toutes les opportunités sont à saisir. Deux hommes supplémentaires ne seront pas de trop pour l’aider dans son entreprise. Dès lors Crouch et Goodgal sont partie prenante dans la tentative de capture de la batterie de la Pointe du Hoc. Une sacrée aventure pour ces deux paras qui ne devaient pas se trouver là.
Au milieu des rangers sous la flèche blanche se trouve Leonard Goodgal, 101st US AB. Remarquez son casque siglé, son patch d'épaule, et ses bottes de saut.
Un espace bouleversé et bouleversant de la Bataille de Normandie
Le poste de tirs. (photo : Joe Hewett)
L’endroit, sous la responsabilité du gouvernement américain depuis 1979 et scarifié par la terrible bataille, dégage force et respect.
La Pointe du Hoc, constellée par les cratères des bombes. |
L’entrée du poste de tirs criblée d'impacts de balles. |
A 7 kilomètres d’Omaha Beach, sur 12 hectares, on y voit les cratères monumentaux, des casemates éventrées et des abris souterrains. D’énormes pièces de béton de plusieurs tonnes ont été éparpillées par les explosions, ce qui donne une idée de la violence du bombardement qu’a enduré la garnison allemande. Une des salles d’observatoire est reconvertie en crypte à la mémoire des Rangers tombés au champ d’honneur. Après être passé par le Visitor Center ouvert en 2014, une plate-forme aménagée sur une casemate permet d’avoir une meilleure vue d’ensemble du site. Dans l’entrée du poste de tirs, des impacts de tirs sont encore bien visibles et témoignent de l’âpreté des combats sur la pointe pour la prise de la batterie.
L'intérieur du poste de tirs. | A l'entrée, le Visitor Center. |
Le sentier qui mène sur le bord de la falaise est appelé allée du Colonel Rudder.
Un monument en granit en forme de lame de poignard se trouve sur l’ancien poste de direction de tirs. Libéré de la menace de chuter de sa falaise, ce dernier a pu rouvrir ses portes en 2011 grâce au financement de l’American Battle Monuments Comission.
A l’entrée se trouve une table de présentation du coup de main réalisé par les Rangers. Sachez que des soldats des 2 camps reposent toujours dans ce sanctuaire militaire, et qu’à l’occasion, on peut assister à des cérémonies diverses de troupes américaines stationnées aux alentours lors des commémorations du Jour J.
=> plus de photos sur la pointe du Hoc