L'aviation alliée dans le ciel de Normandie le 6 juin 1944.
Lors du Débarquement en Normandie le Mur de l'Atlantique ne résista qu'une demi-journée. Un succès rendu possible grâce en partie à l'omniprésence dans les airs de l'aviation alliée et à l'état critique de la Luftwaffe.
21 avril 1944 : P-51 Mustang du 19th Squadron de la RAF.
Lorsque la guerre embrasa l'Europe, la Luftwaffe était l'un des fleurons du IIIème Reich, infligeant notamment de terribles pertes aux troupes françaises en 1940. Cependant les As allemands, fortement éprouvés au début de l'année 1944, n'auront dorénavant plus les moyens de s'opposer efficacement aux alliés dans le ciel normand (voir l'article La Luftwaffe assassinée).
Néanmoins, ces-derniers, forts des enseignements tirés des opérations menées précédemment en Sicile et en Italie, ne veulent prendre aucun risque dans la réussite du plan Overlord. Le Suprême Headquarters Allied Expeditionary Force (SHEAF) doit donc s'assurer que son aviation maîtrisera l'espace aérien le 6 juin. Cette suprématie permettra de soutenir les troupes prenant pied sur les plages et de mettre hors de combat les points de résistance ennemis.
Quelles sont les ressources dont dispose Eisenhower pour réussir dans son entreprise ? Au printemps 44, il peut compter sur 5 454 chasseurs, chasseurs-bombardiers et bombardiers moyens. Cette flotte est divisée en deux forces aériennes tactiques : la 2nd Tactical Air Force de la Royal Air Force, et la 9th USAAF. Seulement c'est insuffisant pour le commandant suprême des forces expéditionnaires alliées en Europe. Ike souhaite en fait pouvoir compter temporairement sur les forces de bombardement stratégiques basées en Grande-Bretagne, qui pour l'heure vont inlassablement frapper les villes et objectifs industriels allemands. Mais il se heurte aux vétos de l'Air Chief Marshal Arthur Harris, chef du Bomber Command de la RAF, et du Général Carl Spaatz, commandant les forces aériennes stratégiques américaines en Europe. Ces derniers craignent que l'arrêt des raids derrière le Rhin ne permette aux nazis de reconstituer leurs forces. Cependant Eisenhower obtient gain de cause et peut alors s'appuyer, à la veille du D-Day, sur un réservoir total de 12 000 appareils :
- 3 440 bombardiers lourds
- 930 bombardiers moyens
- 4 190 chasseurs et chasseurs-bombardiers
- 1 360 avions de transport
- 867 planeurs
- 1 070 patrouilleurs maritimes
- 520 avions de reconnaissance
- 80 avions de sauvetage
Pour éviter comme en Sicile les méprises avec sa propre DCA, les avions seront peints avec de larges « bandes d'invasion » noires et blanches.
Pendant ces tractations et cette refonte des unités, les pilotes alliés n'ont pas chômé. Car il a fallu préparer et isoler le futur champ de bataille normand. Ainsi dès le 6 mars 1944, le SHAEF a exécuté le Transportation Plan : le réseau de transports français fut durement frappé, 80 objectifs ferroviaires reçurent plus de 66 000 tonnes de bombes, et les convois, les ponts et les ports devinrent des cibles de choix. Qui plus est, 35 à 40% des missions aériennes furent pour d'autres objectifs, comme les sites de V1 ou des entrepôts.
Hawker Typhoon |
Le B-26 Marauder du musée Utah Beach |
Pour ce qui est des batteries côtières et des stations de radars, ces dernières doivent attendre quelques jours avant le Jour J pour être survolées par les bombardiers alliés. Puis dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 débute le grand jeu. Le IX Troop Carrier Command, 9th USAAF, largue sur le Cotentin les 13 000 paras des 82nd et 101st US Airbornes. Sur l'autre flanc de la zone de débarquement, les Britanniques sont aussi à l’œuvre. Les 38th et 46th Air Transport Groups acheminent les diables rouges de la 6th Airborne.
Entre Cherbourg et Le Havre débute l'opération FLASHLAMP, 10 batteries (telles celles de Merville, Longues ou Ouistreham) sont labourées par 5 300 tonnes d'explosifs du Bomber Command. Le ciel couvert rend les largages difficiles et les résultats sont médiocres. Cependant même si les casemates des batteries demeurent intactes, les cratères de bombes seront autant de couverts pour les assaillants, comme à La Pointe du Hoc. Les inquiétudes de Spaatz et Harris étaient fondées concernant l'efficacité des bombardiers lourds pendant Flashlamp. En effet, ceux-ci ont pour consigne de déverser à haute altitude un tapis de bombes sur leurs objectifs. Déjà peu précise, cette méthode ne permet pas de percer la carapace ultrarésistante du Mur de l'Atlantique.
Le lieutenant Jager (debout au centre) et son équipage posent le 1er septembre 1944 en Angleterre devant
leur B-17 I'll get by, 390th Bomb Group, 8th USAAF. Auparavant le 6 juin 44, ils ont bombardé Ouistreham.
A l'aube, peu avant l'arrivée des troupes sur les secteurs de Sword, Juno, Gold, Omaha et Utah, les défenses de plages sont ciblées. Mais comme pour les batteries côtières, les casemates restent intactes. Le mauvais temps, la fumée et les flammes limitent la visibilité et affectent le bombardement. Néanmoins les explosions dévastent le sable et endommagent les réseaux téléphoniques et électriques allemands. Des mines explosent, le réseau de barbelés et d'obstacles est mis à mal. Et les troupes d'assaut pourront compter sur les providentiels cratères de bombes pour se soustraire aux balles ennemies. Enfin, le vacarme des détonations aura raison de la résistance de certains défenseurs, qui se rendront dès les premiers coups de feu, comme au Wn16 de Colleville-sur-Orne.
L'armada alliée traverse la Manche, protégée par les escadrons de chasse. Ces derniers sont appuyés par le Costual Command, chargé d'empêcher les U-Boote et tout autre bâtiment de la Kriegsmarine de s'attaquer aux navires alliés. Ainsi 700 avions patrouillant dans la Manche et l'Atlantique ont repéré et attaqué une quarantaine de sous-marins. Pour parfaire l'intoxication de la surveillance allemande, des bombardiers prêtent aussi leur concours aux opérations de diversion TITANIC, TAXABLE et GLIMMER.
"Si vous voyez des avions au-dessus de vous, ce seront les vôtres." |
Au-dessus des zones de débarquement, le matin à 6h30, les pilotes de chasse ont d'autres prérogatives : barrer la route à la Luftwaffe et protéger l'infanterie, s'opposer à l'arrivée des renforts ennemis approchant de la côte, assurer la précision des tirs d'artillerie, neutraliser des objectifs dans les terres. Certains pilotes dressent des écrans de fumée quand d'autres s'acquittent de la reconnaissance. Le 6 juin, les forces aériennes alliées osent 14 674 missions. Concernant les 8th et 9th USAAF, elles réalisent 8 722 sorties pour 72 avions perdus, soit 1% de pertes. Quant aux allemands, ils affichent à peine 319 sorties, mais déplorent 127 appareils perdus !
Les retours de missions vers l'Angleterre furent parfois périlleux : voici l'équipage du B-26C Marauder "Carefree Carolyn", 386th BG, 9th USAAF, devant son avion après avoir effectué un atterrissage sur le ventre le 15 juin 1944. C'était la 100ème mission du bombardier. |
Corps de Gliders, déposés après le crash de leur planeur Horsa au Sud de la batterie du Holdy, Sainte-Marie-du-Mont. |
Cependant, pour se ravitailler en carburant et en munitions, les aviateurs doivent opérer d'épuisants allers-retours entre l'Angleterre et la tête de pont. Mais à partir du 10 juin, l'aménagement de pistes leurs permettent de se poser en France (comme l'A-10 Airfield de Catz, ou l'A-7 de Fontenay-sur-mer). Le Génie fait des miracles et ce sont 81 aérodromes qui vont éclore en Normandie. De fait, la présence croissante des P-47 et autres Spitfires au-dessus de leurs têtes va irrémédiablement plomber les capacités des contre-attaques allemandes. Cibles faciles, les colonnes de blindés germaniques ne voyagent plus que de nuit sur les routes secondaires et manquent de carburant. Se faisant, les troupes feldgrau vont peu à peu passer maîtres dans l'art du camouflage afin de duper les regards balayant le sol des aviateurs ennemis.
Sans le soutien et la suprématie aérienne de l'aviation alliée, le Débarquement en Normandie aurait sans doute été plus long et plus coûteux en vies humaines. Sur le front de Normandie, Hitler ne peut se dresser efficacement contre les plans d'Eisenhower. Cet atout capital pour le SHEAF résulte d'un travail de sape effectué dans le ciel européen de longs mois avant le D-Day. Trop affaiblie, éparpillée et saignée à blanc, la Luftwaffe n'opère que des barouds d'honneur en Normandie (comme celui du Kommandeur Josef Priller), laissant le champ libre aux libérateurs. En face, côté alliés, Eisenhower avait fait une promesse. La veille du Jour J, se voulant rassurant lors d'une de ses multiples visites aux troupes d'assaut, il leurs avait dit ceci : « Si vous voyez des avions au-dessus de vous, ce seront les vôtres. » Malheureusement pour l'infanterie et les blindés allemands, il avait raison.
La France Libre décolle aussi !
Au milieu du rouleau compresseur aérien allié, la France Libre a également fait le coup de feu. Une centaine d'appareils des Forces Aériennes Françaises Libres (FAFL) se sont joints à l'assaut le 6 juin 1944. Dans le cadre de l'opération Screen Smoke, le groupe Lorraine déploie avec succès un écran de fumée entre la flotte alliée et les côtes normandes, dans le but d'empêcher les allemands de comprendre l'ampleur de l'invasion et d'aligner les navires adverses avec leurs canons.
Six autres groupes des FAFL sont aussi partie prenante d'Overlord, soit en déversant leurs explosifs sur les défenses de plage, soit en assurant la couverture aérienne :
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Les groupes de chasse Ile-de-France, Alsace, Berry et Cigognes, équipés de Spitfires
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Les groupes de bombardiers lourds Halifax Tunisie et Guyenne
Comme pour leurs 177 camarades bérets verts débarqués sur Sword Beach, l'action du petit contingent des FAFL le Jour J fut un message fort adressé d'abord aux français, mais aussi aux troupes du IIIe Reich.
Le groupe Lorraine à son arrivée sur le terrain de Vitry-en-Artois en novembre 1944
(site Musée de l'armée des Invalides)
Sources =>
Historica N°33 Les avions du 6 juin, la bataille du ciel
Livre 50 aérodromes pour une victoire, de François Robinard, éd. Heimdal
Atlas du Débarquement et de la Bataille de Normandie, de John Man, éd. Autrement
Dictionnaire du Débarquement, éd. Ouest France
site web Fondation de la France Libre
photos : US Nationales Archives/Impérial War Muséum/s. samson