La Fière / Cauquigny, les parachutistes sont sur le pont
Cauquigny est un hameau incorporé à la commune voisine d’Amfreville et où se tient une charmante chapelle. Mais Cauquigny est aussi le point de sortie de la chaussé de La Fière près de Sainte-Mère-Eglise, lieu vital pour les plans de libération alliés en juin 1944. C’est ici après le Débarquement que leurs troupes doivent commencer leur marche vers l’Ouest pour couper la presqu’ile du Cotentin en deux puis capturer Cherbourg et son port.
Placé au Sud de la Drop Zone T, Cauquigny doit être pris le 6 juin par le 507th Parachute Infantry Régiment de la 82nd US Airborne Division. Le lieutenant-colonel Timmes commande le second bataillon et parvient aux abords de la chapelle aux premières lueurs de l’aube. Etonnamment le coin est paisible, dépourvu d’allemands. Timmes poursuit sa route pour aller se poster plus loin dans un verger avec une centaine de parachutistes (voir page sur Amfreville).
Vers midi et sur ordre de Timmes, les lieutenants Lewis Levy, Joseph Kormylo, deux autres officiers du 508th et 8 paras sécurisent le périmètre de la chapelle et son cimetière. L’endroit est toujours calme mais les hommes sont sur leurs gardes.
Vers 15h30 les choses sérieuses débutent. Venus de Picauville, des éléments allemands du Grenadier-Régiment 1057 et du Panzer-Abteilung 100 fondent sur leur position. Les américains se défendent de toutes leurs armes face à cet ennemi mieux équipé et supérieur en nombre. Cependant face à cette imposante opposition, ils doivent rompre le combat et se replier vers le verger de Timmes.
Les parachutistes doivent tenir le pont à tout prix.
Ayant repris Cauquigny, les allemands vont alors concentrer leur attention vers la chaussée, ou se trouve à quelques centaines de mètres le pont de La Fière tenu par les parachutistes du 1er bataillon du 505th PIR. En effet le pont de La Fière est primordial car lui seul permet de rejoindre les deux régiments aéroportés largués plus à l’Ouest derrière les allemands, sur les DZ T et N, de l’autre côté de la rivière Merderet. Venant de la Drop Zone O au Nord et rejoints par des hommes des 507th et 508th PIR, les parachutistes ont brisé les lignes allemandes au manoir de La Fière et tiennent le pont depuis 11h30.
En fin d’après-midi ce 6 juin, les allemands attaquent le pont. Malgré leurs blindés, ils buttent sur les défenses américaines. Le lendemain ils réitèrent leurs assauts après une forte préparation d’artillerie. Mené par le lieutenant Dolan, le 1er bataillon du 505th encaisse les coups mais conserve l’édifice.
Et soudain Joe Fitt, C/505, s'élance sur le pont sous la mitraille...
Avant le D-Day, Joseph Cyril Fitt a déjà participé à toutes les campagnes militaires précédentes avec la compagnie C du 505th PIR.
A 22 ans le 6 juin 1944, la campagne de Normandie constitue donc son troisième saut de combat avec la 82nd US Airborne. Il est largué peu après deux heures du matin aux alentours de Neuville-au-Plain. Le Capitaine Anthony Stefanich, CO C Compagny, parvient à regrouper 70 hommes et tous filent en direction de leur objectif, le pont de La Fière près de Sainte-Mère-Eglise.
Arrivés sur zone vers sept heures, ils participent avec des éléments du 507th PIR à la capture du Manoir près du pont. Le Capitaine Stefanich, suivi par Joe Fitt et un autre para, essaie en se faufilant dans un fossé de déborder une mitrailleuse ennemie postée dans un des bâtiments. Soudain Fitt bondit hors de son abri et traverse la route sans tirer. Il plonge dans l'allée d'un champ voisin et arrose ensuite les allemands avec un fusil-mitrailleur BAR. Le manoir passe bientôt entre les mains de la 82nd. Puis les paras se mettent en position défensive autour de l’édifice et attendent la réaction ennemie. Sur les hauteurs du manoir, en direction de la chaussée, ils ont disposé un canon de 57 mm.
Après seize heures, 3 blindés allemands venant de Cauquigny, suivis par 200 fantassins, s’avancent sur la route en direction des parachutistes. Devant les blindés, les allemands font avancer entre 12 et 15 prisonniers américains. Ces derniers doivent enlever les mines posées plus tôt par leurs camarades sur la chaussée. La tension est insoutenable, les allemands mettant à rude épreuve les nerfs des libérateurs.
N’y tenant plus, le Sergent Oscar L. Queen fait cracher sa mitrailleuse et abat le commandant du premier char. John B. Bolderson, Gordon C. Pryne, Lenold Peterson et Marcus Heim sont tapis de chaque côté de la chaussée. Ces deux équipes de Bazooka envoient leurs roquettes contre la colonne de blindés. Le canon de 57 mm fait feu à son tour sur le premier char qui s'immobilise. Cependant celui-ci tire toujours et fauche des parachutistes.
Fitt sort alors à découvert et franchit le pont de La Fière au milieu du claquement des balles. Puis il grimpe sur le blindé et lance une grenade à l’intérieur. L’explosion élimine les tankistes, le char allemand se tait. Pour sa bravoure, Fitt reçoit la Silver Star, mais à titre posthume. En effet il est tué par un tir de sniper le 13 juin aux abords de la gare de Montebourg.
Il repose aujourd’hui au Mémorial Park de Taylorsville, dans le comté de Salt Lake City dans l’Utah.
En avant du pont la route menant à Cauquigny s'appelle désormais la "voie Marcus Heim".
=> Récit complet de la bataille de La Fière dans le Livre Sainte-Mère-Eglise un sanctuaire américain en Normandie 1944-1948, d'Antonin Dehays, éd. OREP
Cependant, les contre-attaques allemandes se poursuivent en avant du pont, sur l'autre rive du Merderet. Par leur ténacité et leur cohésion, les américains résistent et gagnent même du terrain. Le commandant en second de la 82nd US Airborne Division, le général Gavin, ordonne l’offensive vers Cauquigny et fait tonner l’artillerie. Les américains progressent vers la chapelle, aux abords de la chaussée jonchée de corps, où le soldat Charles DeGlopper réalise l'ultime sacrifice (voir ci-dessous).
10 juin 1944, en regardant vers Cauquigny : l'état de la chaussée donne une idée de l'intensité des combats. Devant le pont de La Fière gisent les chars allemands neutralisés par les paras américains. (US Nationales Archives) |
Citation et Medal of Honor de Charles N. DeGlopper, 325th GIR, Killed In Action le 9 juin 1944 à La Fière. Cadre visible au Musée Airborne de Sainte-Mère-Eglise. |
Avec des pertes effroyables dans les deux camps, les soldats du 507th PIR et du 325th Glider Infantry Régiment (planeurs) reprennent Cauquigny le 9 juin. Face à l'opposition des blindés du 746th bataillon, les allemands cèdent définitivement la place. Le général Ridgway, chef de la 82nd, peut enfin y installer son PC.
Pendant trois jours, la 82nd a tenu le choc, et malgré de lourdes pertes, elle a gagné la bataille de La Fière. Les nombreux cadavres des soldats tombés pendant l'affrontement resteront plusieurs jours sur la chaussée, soumis à la putréfaction et à une chaleur accablante.
Pour les commémorations, le marais de La Fière accueille des largages massifs de parachutistes.
Aujourd’hui, le site est un endroit calme, qui contraste avec la violence des évènements qui se sont déroulés en juin 1944. Le monument Iron Mike domine les marais et rend hommage aux hommes de la 82nd Airborne. Le petit pont est toujours là et tous les ans, un parachutage massif est organisé pour les commémorations du 6 juin 1944.
A l’Ouest, au bout de la chaussé, se trouve la petite chapelle de Cauquigny. A l’intérieur se trouve un vitrail en l'honneur des parachutistes inauguré en juin 2012.
Voir le parachutage sur La Fière lors des commémorations 2012