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Soldats afro-américains : les distinctions après la discrimination.
Par plagesdu6juin1944 | Le 22/10/2017 | Commentaires (2)
Depuis la Guerre de Sécession, les faits d'armes des soldats afro-américains restaient plutôt confidentiels dans les livres d'histoire. Longtemps stigmatisés par leur hiérarchie, les vétérans noirs retrouvent peu à peu la reconnaissance pour leur contribution dans la victoire contre les forces de l'Axe.
Ils sont 143 à reposer sur les hauteurs d'Omaha Beach. Parmi les milliers de croix en marbre hérissant le cimetière militaire américain de Colleville-sur-mer, ils sont une trace indélébile du sacrifice de la communauté afro-américaine pour la libération de l’hexagone en 1944. Et pourtant, les soldats noirs ont longtemps été les oubliés d'une armée restée souvent sourde à leurs mérites.
Avant d'avoir la mémoire sélective, le ministère de la guerre outre-Atlantique perpétua la ségrégation raciale, bien après l'abolition de l'esclavage en 1865. Déjà dans le civil, les employeurs réservaient aux travailleurs noirs les tâches les plus pénibles et les moins rémunérées. Ce traitement se reporta dans les troupes militaires de l'Oncle Sam. Ainsi, les noirs étaient séparés des blancs : régiments et mess étaient distincts, mêmes les poches de sang n'échappaient pas à la règle. Pourtant, le 3 septembre 1940, le Selective Service Act était censé mettre fin à cette politique dégradante, sans succès. Les soldats de couleur recevaient une piètre instruction et une nourriture moins bonne que leurs camarades à la peau plus claire. Commandés par des blancs, ils étaient cantonnés en majorité à des fonctions logistiques (ravitaillement, manutention, cuisine ou transport). Néanmoins certains pouvaient tout de même servir dans des troupes de combats comme le génie, l'artillerie ou la DCA.
Columbus, Georgie, en 1942 : un MP pose devant un panneau explicite. (Nara)
Impensable jusque dans les années 60, les électeurs font parler les urnes en 2008 et confient le mandat suprême au premier président noir de leur histoire, Barack Obama. En 2009, ce dernier débarque en Normandie pour les commémorations du 65ème anniversaire du D-Day. Aux côtés de Nicolas Sarkozy, le 44ème président américain déclare « Alors que le danger était maximum, dans les circonstances les plus sombres, des hommes qui se pensaient ordinaires ont trouvé, en eux, de quoi accomplir l'extraordinaire. »
D'hommes ordinaires, le 320ème bataillon de ballons de barrage anti-aérien en était constitué. Cette unité spéciale, composée de soldats afro-américains, devait éloigner les avions ennemis. Des ballons en caoutchouc, gonflés à l’hydrogène et rattachés à un treuil par des câbles d’acier, explosaient en cas de contact avec un aéronef. Le Jour J dans l'enfer d'Omaha Beach, ces hommes arrivent dans la première vague d'assaut aux côtés des 1st et 29th US Infantry Divisions.
Du haut de ses 19 ans, William Dabney pose pied à 9h sur la plage sanglante : « J’avais un ballon attaché à moi lorsque je suis arrivé sur la plage, mais il a été détruit pendant les bombardements. Le sable était couvert de cadavres. Je suis resté sur la plage pendant environ trois ou quatre jours, en attendant l’arrivée de nouveau matériel. Je ne faisais pas partie de l’infanterie, je n’étais pas en train de me battre. J’étais là pour protéger les troupes avec les ballons. »
Le 6 juin, dans la boucherie d'Omaha, Dabney doit survivre. Il s'empare d'une pelle et parvient à s'enterrer dans le sable. Il survivra à la tuerie en restant prostré de longues heures. Comme lui, ils seront près de 2 000 libérateurs noirs à débarquer le 6 juin 1944.
Près de deux mois plus tard, le 26 juillet, l’état-major rappelle tout de même l'apport de cette communauté dans la réussite de l'opération Overlord. Le commandant suprême du corps expéditionnaire allié, le général Eisenhower, s'adresse au 320th Anti-aircraft Arty Balloon Barrage Battalion : "Votre bataillon a débarqué en France le 6 juin sous le feu de l’artillerie, des canons et des fusils. Le bataillon, en dépit de ses pertes, a accompli sa mission avec courage et détermination, prouvant son importance dans l’équipe de défense aérienne".
Quant à William Dabney, il poursuivit le combat, se battant en Belgique puis aux Pays-Bas, et enfin aux Philippines.
Retour donc en 2009. Sorti de sa Virginie, Dabney reçoit la Légion d'Honneur des mains d'Hervé Morin, Ministre de la Défense de l'époque. « J’étais vraiment reconnaissant que les Français apprécient le fait que je me sois battu pour eux. » reconnut le vétéran.
Une distinction tardive, comme pour certains hispaniques*, pour celui qui subit encore la discrimination à son retour au pays. Après-guerre, il fit des études dans un institut technique, et obtenu un diplôme universitaire d’ingénieur électrique. Mais la réalité du marché du travail le rattrapa. Il n’y avait pas de poste d’ingénieur ouvert pour des candidats noirs. Il se résigna alors à suivre une formation de carreleur et créa son entreprise.
William Dabney en 2009. (you tube) | 1943 : les fameux Tuskegee Airmen, 332nd FG, qui firent les beaux jours de l'USAAF. (US Air Force) |
Durant la guerre civile américaine, des soldats noirs avaient combattu dans les troupes de l'Union afin de gagner leur liberté. Pendant la Grande Guerre, le gouvernement français décora de la Croix de Guerre les 92nd et 93rd Infantry Divisions pour leur courage. Durant la Bataille de Normandie, les soldats afro-américains œuvrèrent sur les ports flottants d'Utah et d'Omaha Beaches, ou édifièrent des hôpitaux et des aérodromes. Les GI's les croisèrent sur le Red Ball Express, lorsqu'au volant de leurs camions ils constituaient le vital maillon du ravitaillement en carburant et en munitions vers les premières lignes. Sans oublier le 761st Tank Battalion, les Black Panthers, qui débarqua sur Omaha le 10 octobre 1944 et ferrailla dans la 3rd Army du Général Patton. Durant la Seconde Guerre Mondiale, 909 000 soldats noirs ont combattu dans les rangs de l'armée américaine. Il faudra attendre 1948 pour que celle-ci mette fin à la ségrégation raciale dans ses rangs.
"C’est toujours la même question : comment j’ai pu participer à la Libération de la France et rentrer chez moi où je n’étais même pas libre. " William Dabney en 2009 sur Europe 1 |
Même si les manuels d'histoire avaient durant des décennies perdu la mémoire sur ce pan méconnu de la Libération, l'Américan Battle Monuments Comission répara l'oubli en 2007. Une trace existe dans le Visitor Center de Colleville-sur-mer. Un panneau vante l'héroïsme du sergent Waverly Woodson, responsable de la pharmacie du 320th battalion, qui soigna durant cinq jours les blessés sur Omaha Beach, avec un éclat de mortier dans la jambe. Dans le cimetière militaire voisin, ils sont trois du 320th à y être inhumés. Les Corporals Henry J. Harris et Brooks Stith, ainsi que le Private James M. McLean font face à la mer. Aujourd'hui, en contrebas, sur la plage, les cerfs-volants ont remplacé leurs imposants ballons.
Des africains chez les aryens
A la fin du 19ème siècle, l'Allemagne établit des colonies en Afrique : dans l'Ouest dans l'actuelle Namibie, au Togo, au Cameroun, en Tanzanie puis au Rwanda et au Burundi. Plus tard, avant et après la Grande Guerre, des africains rejoignent l'Allemagne en tant qu'étudiants, artisans, anciens soldats ou petits fonctionnaires coloniaux. Des métis, fruits de l'union d'allemandes et de locaux, font également partie de ce mouvement migratoire. Ainsi en 1914, environ 1 800 noirs et métis vivent à Berlin. Néanmoins, ils sont opprimés en 1935 par les lois racistes édictées à Nuremberg : leur passeport et divers droits leur sont notamment refusés. Cependant ils peuvent continuer à vivre relativement normalement s'ils restent discrets, contrairement aux juifs. Puis en 1937, le pouvoir nazi promulgue une loi ordonnant la stérilisation forcée des métis du pays. Lorsque l'Allemagne entre en guerre en 1939, des afro-allemands prennent les armes aux côtés du IIIe Reich. Dans son ouvrage « Sombres bourreaux », Serge Bilé revient sur certains rôles qu'ils y ont joué. L'auteur cite l'exemple de deux Réunionnais qui torturaient pour la Gestapo à Bordeaux, ou de Ewan Ngando, qui réussit à se faire enrôler dans la Wehrmacht en 1940. On peut aussi citer la Légion Arabe Libre, unité allemande nazie formée en 1941 avec des volontaires arabes du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. Des antillais se battront aussi pour Hitler, au sein de la Légion des Volontaires Français (LVF). Soldat afro-allemand, membre de la légion arabe libre, en septembre 1943. (archives fédérales allemandes) |
*voir article Barack Obama réhabilite Joe Gandara, Médal of Honor à Amfreville.
Sources :
article de France24 du 05/06/2009 : La France rend honneur au rôle des Afro-Américains
article France 24 du 04/06/2014 : "D-Day" : les soldats noirs tombés dans l'oubli
article du Monde du 06/06/2009 : Les soldats noirs des Etats-Unis, héros oubliés du 6 juin 1944
Dictionnaire du Débarquement, sous la direction de Claude Quétel, éd. Ouest France