debarquement
Hors-série N°1 : La poche de Falaise et le Mémorial de Montormel
Par plagesdu6juin1944 | Le 18/08/2015 | Commentaires (2)
Entre Chambois et Vimoutiers dans l’Orne, le Mémorial de Montormel permet aux visiteurs de comprendre la fin de la Bataille de Normandie. Ou comment les alliés, en fermant la poche de Falaise et en saignant à blanc l’armée allemande, précipitèrent la Libération de la France et donnèrent une justification définitive au Débarquement du 6 juin 1944.
Du 6 au 21 août 1944 : le piège se referme
Le 31 juillet 1944, les américains s’emparent de la ville d’Avranches, couronnant de succès l’opération Cobra du Général Bradley. Les troupes alliées s’enfoncent alors vers l’Ouest en Bretagne, et au Sud en direction de la Loire. Dans le même temps, les britanniques menés par Montgomery ont conquis Caen le 19 juillet et progressent eux-aussi vers le Sud vers la commune de Falaise. Pour les allemands de la 5. Panzerarmée et de la 7. Armée, le danger est réel. D’autant que les américains les contournent et avancent vers Le Mans dès le 6 août. Une tenaille est en train de se former autour des forces hitlériennes. Le Führer justement à deux options : Soit il repli ses troupes derrière la Seine et réorganise sa défense, soit il attaque et rétabli une ligne de front entre Avranches et St-Lô. Comme souvent, Hitler choisi la seconde option. Ce même 6 août 1944, il déclenche l’opération Lüttich. Le Generalfeldmarschall Von Kluge, commandant le front Ouest, doit lancer à l’assaut d’Avranches ses 150 chars basés près de Mortain. Espionnés par les alliés, les allemands ne peuvent cacher leurs intentions et l’effet de surprise est inexistant. Même si ces derniers reprennent Mortain aux américains, ils sont dévastés par les escadrilles de P-47 et de Typhoons et perdent en quelques heures la moitié de leurs blindés. Cependant Hitler refuse toute retraite et les allemands vont s’enliser dans ce saillant.
Car parallèlement, la 3ème armée du Général Patton (qui comprend la 2e DB du Général Leclerc) progresse sur leur flanc gauche, au Sud, consolidant leur tenaille. En effet, Omar Bradley, chef du 12ème groupe d’armées US, a décidé de conserver le minimum de forces à Mortain et de jeter le reste de ses unités vers le Sud et l’Est pour encercler l’avant-garde allemande. Le 7 août, c’est au tour de la 1st Canadian Army de descendre vers Falaise dans le cadre de l’opération Totalize. Mais les allemands résistent farouchement. Le 8 août, la 3ème armée de Patton libère Le Mans. Au Nord les canadiens piétinent et Montgomery suspend l’opération Totalize le 11 août. Il lui faut une seconde attaque le 14 août, l’opération Tractable, pour pouvoir entrer dans Falaise le 16 août. Le jour même, les américains se battent maintenant à Argentan, à seulement 30 kilomètres au Sud des positions canadiennes ! L’étau se resserre autour des allemands.
Mais, sentant le piège, ces-derniers commencent à refluer massivement vers l’Est. Il faut fermer la poche mais les alliés tergiversent. Patton veut foncer vers Falaise quand Montgomery veut une zone de démarcation entre anglo-canadiens et américains afin d’éviter les pertes amies. Bradley se range à l’avis de Monty et ordonne à Patton de stopper son effort à Argentan, le secteur de Falaise restant la propriété de Montgomery. Profitant de ces querelles, des milliers d’allemands s’extraient hors de la tenaille. Enfin le 17 août, les canadiens et les polonais franchissent les lignes arrières allemandes et se dirigent vers Trun. Sur ordre de Montgomery, ils doivent rejoindre les américains à Chambois. La porte de sortie à l’Est se rétrécie encore dangereusement pour les allemands, Hitler ayant enfin consenti à un repli de ses troupes derrière la Dives. Les canadiens s’emparent de Trun le 18 août, tandis qu’au sud, les américains luttent aux abords de Chambois. A ce moment, l’espace pour que les allemands puissent se faufiler vers l'Est entre canadiens et américains ne mesure plus que 7 kilomètres. Il leurs reste comme uniques portes de salut un pont à Saint-Lambert et un gué à Moissy. Les choses se corsent encore pour eux le 19 août quand la 1ère DB polonaise s’installe sur le Mont-Ormel et les canadiens à Saint-Lambert-sur-Dives. Finalement le soir, les polonais font leur jonction avec les américains à Chambois. La poche est fermée. Le Major David V. Currie (à gauche avec le pistolet) du régiment canadien South Alberta accepte la réddition de troupes allemandes à Saint-Lambert-sur-Dives le 19 août 1944. Pas pour longtemps car les allemands jouent leur va-tout. Dans la nuit, le 2e Corps de parachutistes du Général Meindl attaque de l’intérieur les lignes alliées et parvient à ouvrir un seul accès, entre les villages de Coudehard et Champosoult. Le Mont-Ormel, position stratégique codée « cote 262 », fait maintenant face à l’ultime porte de sortie pour cette armée allemande aux abois. Devant cette colline dominant le front, en contrebas, quelques champs découpent les arbres. Les allemands profitent de cet espace pour essayer de se carapater hors du chaudron. Ainsi le 20 août, des milliers de soldats s'échappent par les flancs du Mont-Ormel. Autre conséquence de la contre-attaque de Meindl, les Polonais se retrouvent isolés sur leur colline mais luttent énergiquement. Bien qu’acculés, les hommes de la 1ère DB et leurs chars sont aux aguets et font tonner leurs canons. Pour l’ennemi prit sous ce feu meurtrier de l'artillerie, ces champs deviennent le couloir de la mort. Les lentes cohortes allemandes démoralisées sont sans cesse harcelées par les alliés massés sur les hauteurs. De plus ce lourd serpentin Feldgrau est pilonné comme à l’entrainement par l’aviation. En avant de cette zone de feu, les attaques allemandes venues de l’Est s’enchaînent. Les 9e et 2e SS Panzerkorps essayent depuis l’extérieur de passer en force, sans succès. Car sur le Mont-Ormel, les pertes polonaises sont terribles mais ils conservent leur avantage. Les heures passent et enfin les paras de Meindl et les blindés allemands se replient progressivement. Les polonais sont alors soulagés par l’arrivée des renforts canadiens et dans l’après-midi du 21 août la poche est définitivement close. Quatre jours plus tard, Paris est libérée. Les alliés ont remporté une cinglante victoire contre l’armée d’Hitler. Mais à quel prix. De Saint-Lambert-sur-Dives en passant par Chambois, l’Histoire s’est écrite dans le sang et les flammes. Dans le sang surtout pour les allemands des 5ème et 7ème armées pour qui la retraite est devenue une déroute. Au cœur de l’été 1944, c’est la fin de la boucherie. Après 72 jours de lutte, les débris des deux armées allemandes, encerclés et las, déposent les armes. Le 21 août 1944, après 72 jours d’âpres combats, américains, britanniques, canadiens, polonais et français ferment enfin la poche de Falaise et mettent un terme à la Bataille de Normandie. Sur plus de 100 000 soldats du IIIème Reich se trouvant dans la nasse le 18 août, 40 000 sont parvenus à sortir et à s’échapper derrière la Seine. Ils laissent derrière eux 50 000 prisonniers et 12 000 morts. Côté armement allemand, 200 chars, 130 autochenilles, 1 000 pièces d'artillerie et 5 000 véhicules automobiles gisent dans la poche.* Cette défaite, le Maréchal Von Kluge ne l'a pas vu. Convoqué par Hitler et remplacé par le Maréchal Model, il s’est donné la mort le 18 août 1944 aux environs de Metz, sur la route du retour vers Berlin. Les tankistes polonais de la 1ère DB dans le chaos de la Poche Falaise-Argentan. Commandée par le Général Maczek, elle comptera 20% de pertes dans les combats à Chambois et sur la côte 262.* (photo : Press services of 1st Polish Armoured Division)
* chiffres tirés du site web du Mémorial de Montormel |
Aujourd'hui le paysage est calme et bucolique. Les étroites routes sont constellées d’arbres à l’ombrage bienvenu en cette journée ensoleillée d'été. Parfois au détour d’un virage une ferme vient renforcer cet environnement champêtre. Nous roulons au nord-est d’Argentan, notre curiosité empruntant le circuit Août 44, un itinéraire fléché de 20 kilomètres. Et au loin posé sur sa colline, tel un phare guidant les égarés, le Musée-Mémorial de Montormel nous contemple et s’impatiente. Car ce verdoyant itinéraire dans la vallée de la Dives fut autrefois l’enfer sur terre pour les combattants de 6 nationalités.
Fin août 44, les allemands reculent, quittent la région, et les alliés progressent vers la capitale. Mais pour les normands un autre enfer commence. Les routes, les champs sont encombrés par des véhicules calcinés. Pour dégager la chaussée, on utilise les bulldozers. La nature fait son œuvre, des milliers de morts pourrissent dans la chaleur ambiante. L’atmosphère est noire, noire d’innombrables mouches venues se repaitre d’un festin macabre. L’odeur des 2 000 carcasses de chevaux en décomposition est insupportable. De l’eau potable est acheminée pour les résidants, car pendant 3 mois la zone est déclarée insalubre.
De nos jours cette vallée est redevenue une carte postale paisible. Cependant la montée vers le Mémorial de Montormel est un point de vue qui se mérite. Les pèlerins qui arpentent le circuit 44 et ses panneaux commémoratifs comprennent alors progressivement l’horreur du front. Sur le bord de la route, des photos d’aujourd’hui s’opposent au noir et blanc des terribles clichés pris en 1944.
"Il était possible pendant des centaines de mètres de ne marcher que sur des restes humains en décomposition, dans un silence pesant, dans une campagne luxuriante où toute vie avait brutalement cessé... C'est l’une des plus grandes tueries de la guerre." Général Dwight Eisenhower, en visite sur place 48h après la fermeture de la poche de Falaise |
Situé au sommet de la cote 262 et dominant la vallée de la Dives, le monument du souvenir fut élevé pour le 20ème anniversaire de la bataille. En effet en 1961 les communes de Coudehard et de Montormel décidèrent de concrétiser la reconnaissance des habitants pour les sacrifices des soldats alliés. Grâce à l'apport financier des départements de l'Orne, du Calvados, de l'Eure et d'autres municipalités, le monument fut inauguré en 1967. Il est devenu, notamment au mois d'août, le lieu de passage privilégié de délégations Polonaises.
Pour rappeler l’importance de ces combats, le conseil général de l’Orne créa également en 1994 le Mémorial de Montormel. Le musée, encastré dans la colline, sous le monument, offre une vision exceptionnelle du champ de bataille. Plus de 70 ans après la résistance héroïque des blindés Polonais, le visiteur jouit d’un panorama sans égal. Après avoir contemplé une collection d’objets, un film ou témoignent des vétérans et une maquette animée renforcent la dimension pédagogique du site. Cerise sur le gâteau, une baie vitrée et l’exposé d’un guide nous invitent à la réflexion et au souvenir.
A 85 kilomètres au sud des plages du Débarquement, l'ascension vers le Musée-Mémorial de Montormel permet au passant de prendre de la hauteur sur les événements sanglants d’août 44. Ce promontoire constitue le point final d’un véritable lieu de mémoire à ciel ouvert, ou passé et présent témoignent de la violence d’une bataille.
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photo 1 : c’est sur l'emplacement du parking du monument que la 1ème DB Polonaise arriva à midi le 19 août 1944. Confrontés à une colonne allemande en repli, les Polonais vont éliminer la troupe ennemie puis tenir face aux contre-attaques. Sous les drapeaux stationne un véhicule blindé de reconnaissance M8 Greyhound.
photo 2 : l'entrée du musée
photo 3 : depuis la baie vitrée du musée, vue de la vallée de la Dives. La ligne de champs qui s'enfonce dans l'horizon (à droite des arbres et de la ferme, au centre du cliché) constituait le couloir de la mort, dernière porte de sortie pour les allemands coincés dans la poche.
Mémorial de Montormel 61 160 MONT-ORMEL Tel : 02 33 67 38 61 Horaires et jours d'ouverture Du 1er au 30 avril : tous les jours de 10h à 17h Du 1er mai au 30 septembre : tous les jours de 9h30 à 18h Du 1er octobre au 31 mars : les mercredis et week-ends de 10h à 17h Ouvert tous les jours sur réservation pour les groupes (au moins 15 personnes) Ouvert tous les jours pendant les vacances de toussaint de 10h à 17h
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Dossier réalisé par Stephane Samson
Livre Bye Bye Geneviève !
Par plagesdu6juin1944 | Le 02/08/2015 | Commentaires (0)
Un nouveau livre apparait dans notre bibliographie : Bye Bye Geneviève !, de Geneviève Duboscq.
La routine va bon train au passage à niveau 104 près de Sainte-Mère-Eglise. Cette maison de garde-barrière est occupée par la famille Duboscq : Papa Maurice, sa femme, leur fils Claude et sa grande sœur Geneviève. Les journées sont rythmées par le braconnage dans le marais ou la traite des vaches. Geneviève, 11 ans, comble ses heures avec l’école et les corvées, mais doit aussi subir les coups d’un père souvent abruti par l’abus de Calvados. Tout juste leur quotidien dans cette Normandie rurale est-il troublé par les tours de garde ordonnés par l’occupant allemand à Papa Maurice.
Cependant cette vie champêtre va être bouleversée un soir de juin 1944, lorsqu’un grondement se fait brusquement entendre dans le ciel du Cotentin. Le 5 au soir, c’est la Libération, leur libération qui est en marche. La Bataille de Normandie s’annonce et les emporte, sous la forme d’un immense et étrange soldat au visage noirci qui d’un coup rempli l’encadrement de leur porte d’entrée.
C’est un parachutiste américain. Mais il n’est pas seul, ils sont des dizaines, des centaines à se balancer dans la nuit vers le sol. Vers le sol ? Pas pour tous. Car pour contrecarrer l’invasion alliée, les allemands ont inondé les marais. Beaucoup de paras risquent donc de se noyer, alourdis par leurs bardas et emmêlés dans les suspentes.
Papa Maurice l’a vite compris et sa barque sillonne rapidement les eaux noires à la recherche des naufragés. Embarquée dans le grand tournant de l’Histoire, la famille Duboscq va ainsi sauver, recueillir, réconforter, orienter et ravitailler les parachutistes. Les blessés, alliés et allemands, vont aussi peupler leur demeure. Ainsi, entre 350 et 500 paras des 82nd et 101st Airbornes auraient été sauvés par les Duboscq dans le marais.
Dans cette vie devenue extraordinaire, ou la mort rôde et frappe, les Duboscq vont alors apprendre à se connaitre vraiment. Car quand chacun peut être à tout moment fauché par une balle ou une bombe, les rancœurs, les non-dits, mais aussi le courage se révèlent. Pour Geneviève, au-delà de ces vérités, c’est aussi le choc des cultures avec un nouvel occupant. Car les américains débarquent avec leur modernisme à profusion et bousculent le paysage local. Pour la petite normande, la Libération sonne le glas de son enfance. Portée par une foi et un volontarisme inoxydables, elle va connaitre la bravoure, la peur, la trahison, le trépas, l’amour et la survie. Au crépuscule de son innocence, ces épreuves feront vite de la gamine une jeune femme.
Bien plus tard, les vétérans passés par le PN 104 n’ont pas oublié cette famille. Le 5 juin 1977, lors des commémorations du D-Day à Sainte-Mère-Eglise, les Etats-Unis remirent à Papa Maurice, sa femme, et à leur fille la médaille de la valeur militaire américaine.
De son vécu, Geneviève Duboscq écrivit le livre Bye Bye Geneviève !, qui sera tiré à 250 000 exemplaires. Elle participa à des conférences et des plateaux télé (voir ci-dessous l'extrait de l'émission Apostrophes avec Bernard Pivot). Elle reçut également la médaille du courage d'Israël et la Légion d'honneur française. Bye Bye Geneviève ! est un écrit romancé, le regard d'une enfant sur des évènements qui la dépassent. Et le chiffre de 350 soldats secourus dans le marais fit beaucoup parler dans le Cotentin. Loin des débats sur la véracité historique et les bilans comptables, que ce soit 500, 20 ou un seul para réellement sauvé par les Duboscq, l'humanité se fit une place au coeur de la guerre. Et c’est bien là l’essentiel.
Livre Bye Bye Geneviève !, de Geneviève Duboscq, aux éditions Robert Laffont, 286 pages.
Emission Apostrophes du 29 septembre 1978 : Les oubliés de l'Histoire (ina)