espionnage
L'affaire Cicéron, bons baisers de Turquie.
Par plagesdu6juin1944 | Le 24/01/2019 | Commentaires (0)
En 1943, un employé de l'ambassadeur Britannique en Turquie transmit des documents secrets, dont un sur Overlord, aux services de renseignements d'Hitler. Sous le nom de code de Cicéron, il fut démasqué, et berné par les Allemands.
La turquie, un enjeu pour les politiques pendant la guerre.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, une bataille obscure et secrète s'est jouée entre les différents belligérants. Une bataille d'espions, un jeu à une, deux, voire trois bandes, une partie de dupes, d'informations et de d'intoxication, où chaque camp essaie de percer à jour les intentions de l'adversaire et de deviner son prochain coup.
Depuis 1943, l'abwehr, les services de renseignements allemands, peuvent compter sur un nouvel informateur dans le camp d'en face, chez les Britanniques. Leur source, dont le nom de code est Cicéron, leur transmet depuis le mois d'octobre et la Turquie des documents sensibles.
La Turquie, pays neutre, est au centre des attentions des alliés et des forces de l'Axe. Churchill, le Premier ministre britannique, y tient beaucoup, contrairement à ses généraux qui rechignent à protéger le pays contre les velléités d'Hitler. Car l'Allemagne a besoin du chrome, élément indispensable à son industrie d'armement, dont la Turquie se trouve être son seul fournisseur.
L'homme de confiance se mue en espion amateur.
Cicéron est en fait Elyesa Bazna, le maître d'hôtel de l'ambassadeur de Grande-Bretagne dans le pays, Sir Hughe Knatchbull-Hugessen. Depuis Ankara, Bazna a réussi à gagner la confiance de Knatchbull-Hugessen, et est surtout parvenu à faire un double de la clé du coffre-fort oubliée par son employeur dans l'un de ses pantalons. Pendant des mois, Bazna photographie le contenu du coffre ou de la mallette diplomatique, clichés top-secret qu'il transmet ensuite à l'ambassade d'Allemagne.
Néanmoins, outre des comptes-rendus de réunions secrètes entre Anglais, Américains et Turques, les services de Von Ribbentrop n’apprennent que ce qu'ils savent déjà sur l'opération Overlord : pas grand chose, à part un nom. Un message parle bien de l'attaque. Mais pas de date ou de lieu précis à se mettre sous la dent pour les Allemands. Et de toute façon, ils ont une confiance plus que limitée dans cet espion, qu'ils pensent être en fait à la solde des services secrets de Sa Majesté. Aussi, après l'avoir remercié pour ses informations dont ils ne feront pas grand-chose, ont-ils pris soin de payer en faux billets les 300 000 Livres Sterling demandés par le domestique.
Elyesa Bazna
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Pendant ce temps, du côté de l'ambassade Britannique, l'atmosphère est à la suspicion. Le gouvernement turc a alerté son homologue anglo-saxon sur la présence d'une taupe dans ses locaux d'Ankara. Bazna échappe à la surveillance de l'Intelligence Service, notamment parce que les Britanniques pensent qu'il est trop stupide pour être le fameux Cicéron, mais la chance de ce dernier tourne. En avril 1944, il est dénoncé par Nelly Kapp, une secrétaire ayant œuvré pour les diplomates allemands.
Bazna parvient à s'échapper de l'ambassade le 30 avril et à s'évaporer dans la foule.
Après-Guerre, l'opération Cicéron devint l'affaire Cicéron, révélée au grand public grâce à la parution en 1949 des mémoires du SS Ludwig Moyzisch, officiellement attaché commercial en Turquie, mais en sous-main un des principaux protagonistes dans cette histoire. La traduction anglaise en 1950 de son ouvrage mit le feu dans les affaires intérieures britanniques, qui se seraient bien passés de la mise en lumière de ces événements.
Cicéron avait vécu, mais Elyesa Bazna n'avait pas dit son dernier mot. Il refit surface après avoir eu affaire à la justice turque pour avoir tenter d'écouler la fausse monnaie payée par l'abwehr. Il osa ensuite intenter un procès à l'Allemagne de l'Ouest, espérant ainsi recevoir l'argent promis pour son travail de renseignements. Il n'obtint pas gain de cause mais publia ses mémoires en 1962 sous le titre Signé Cicéron, puis donna des conférences, avant de décéder en 1970. Interrogé auparavant en 1963 (voir l'interview ci-dessous), il disait avoir agit pour l'argent, mais aussi dans l’intérêt de son pays, la Turquie. Telle fut la rocambolesque histoire d'Elyesa Bazna, l'apprenti agent secret qui devint l'acteur principal d'une affaire d'espionnage qui vira à la comédie.
Pour aller plus loin : Livre L'affaire Cicéron 1943, de François Kersaudy, éd. Perrin.
Garbo, l'agent trouble.
Par plagesdu6juin1944 | Le 01/06/2016 | Commentaires (0)
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, un espagnol, secrètement au service des anglais, intoxiqua les renseignements allemands. Cet agent double contribua à la réussite du Débarquement allié en Normandie et réalisa l’exploit d’être décoré par les 2 camps. Avant de mystérieusement disparaitre…
En ce début 1944, les allemands ont peu de certitudes concernant le Débarquement des troupes ennemies à l’Ouest. Ils savent que l’ouverture du second front tant demandé par Staline se fera à court terme. Cependant, Hitler ignore ou et quand les alliés porteront leur attaque. Alors le Führer met la pression sur ses services de renseignements, l’Abwehr de l’amiral Canaris, afin qu’ils fassent la lumière sur la stratégie de Churchill et consorts. L’Abwehr sollicite ses espions, dont un de ses meilleurs éléments, Arabel. Arabel est fiable, Arabel est précis. Arabel vit en Angleterre et a accès à des informations pertinentes sur les préparatifs d’Overlord grâce à son réseau d’infiltrés. Les allemands ont confiance en ce précieux Arabel et ses compagnons, et analysent chacun de leurs envois avec attention.
Mais Arabel est une farce, une imposture. Et les allemands l’ignorent. Arabel, de son vrai nom Juan Pujol Garcia, travaille en fait pour les services secrets Britanniques.
Retour en 1912 en Espagne. Juan Pujol Garcia naît dans une famille sans histoires. Après une guerre civile, l’Espagne est commandé en 1939 par la poigne de fer du général Franco. De cette dictature, Garcia cultive une profonde aversion pour les régimes totalitaires. Il propose alors ses compétences aux services secrets de sa Majesté. Néanmoins il essuie un refus. Diabolique, il se tourne alors en 1941 vers les renseignements allemands qui, enthousiastes, acceptent de l’enrôler. Car Garcia, se faisant passer pour un correspondant de guerre au Royaume-Uni, dit avoir accès incognito à des données sensibles. Une offre bien trop alléchante pour l’agent nazi qu’il rencontre à Madrid. L’affaire est conclue, Garcia, devenu Arabel, sera les yeux et les oreilles de Canaris à Londres. On lui enseigne les techniques de chiffrage des messages et lui alloue 3 000 dollars pour le voyage. Fin prêt, il se rend à Lisbonne afin d’embarquer pour un port anglais. Mais c’est la douche froide pour Garcia qui n’est pas autorisé à quitter le Portugal.
Le Débarquement en Normandie est une ruse...
Juan Pujol Garcia, agent double oeuvrant pour les alliés. |
L'amiral Canaris, chef de l'Abwehr de 1935 à 1944. (Archives fédérales allemandes) |
Qu’à cela ne tienne, même coincé à Lisbonne, il va tenir son engagement. Car notre homme est un formidable acteur, doté d’une imagination fertile. Pour leurrer les allemands, il utilise un guide touristique sur l’Angleterre et une revue récupérée dans une bibliothèque à Madrid, et commence ses transmissions fantaisistes prétendument envoyées depuis Londres. Garcia décrit des mouvements de flottes ennemies, se créé de toutes pièces un solide réseau d’informateurs. Le subterfuge de l’espagnol fonctionne, les allemands n’y voient que du feu. En 1942, Garcia rentre à nouveau en contact avec les renseignements britanniques qui cette fois ne laissent pas passer leur chance.
Accueilli par le MI5 en Angleterre, on lui donne le nom de code de Garbo et lui assigne le Colonel Tomas Harris comme tuteur. Garbo continue de transmettre de fausses informations au IIIème Reich, parvenant même en prenant plusieurs personnalités à leur faire gober qu’il compte jusqu’à 24 taupes dans son réseau. En 1944, afin de préserver sa couverture et avec l’aide de ses agents fantômes, il communique aux allemands de vrais renseignements : le 6 juin, il confirme à l’Abwehr l'information du Débarquement allié en Normandie, mais stipule que cette attaque est une ruse, la véritable opération amphibie d'envergure se déroulant plus tard. Le 8 juin, il envoie cette confirmation : de source sûre, la véritable invasion aura lieu à Calais. Sur les dires du loyal Arabel, la 116. Panzer-Division stationnée près de Paris chenille vers le Nord de la France. Au final, 7 divisons sont détournées à tort de la ligne de front normande.
Intégré à l’opération Bodyguard censée protéger les secrets d'Overlord, cet enfumage alimente la confusion dans l’Etat-Major allemand et rend possible la libération de l’Europe. Chose incroyable, malgré les revers, les nazis continuent de s’abreuver des mensonges envoyés par l’invisible organisation du Catalan. A tel point satisfait qu’Hitler paye grassement Arabel et le décore de la Croix de fer… Quant aux Britanniques, ils octroient à Garbo la Victoria Cross pour ses « vrais » services rendus à la couronne. Peu à peu, Garcia se fait plus discret. Puis il disparait en 1949, donné pour mort en Afrique, laissant sa famille, qui ignore totalement ses activités de l’ombre à Londres, dans le deuil.
Juan Garcia n’est plus, mais outre-Manche les mérites de Garbo hantent encore pendant longtemps les couloirs de l’Intelligence Service. Trente ans plus tard, Nigel West, un écrivain passionné par tout ce qui touche à l’espionnage, s’intéresse à cette histoire rocambolesque. Perplexe sur la mort de ce super agent roi de la supercherie, West mène l’enquête. Son flair le conduit en Amérique du Sud ou il débusque sa proie, bien vivante. Garcia s’est refait une nouvelle vie, est marié et coule des jours paisibles sur la côte Vénézuélienne.
1984. Les commémorations du 40ème anniversaire du Jour J vont bon train quand Garbo fait une retentissante arrivée sur le devant de la scène médiatique. Stupeur chez ses proches en Espagne. Non seulement Juan n’est pas mort, mais en plus c’est un héros, maillon essentiel dans la réussite de la plus grande opération militaire de tous les temps. A la télévision espagnole, l’homme est affable sur son rôle dans l’intoxication du renseignement allemand pendant la guerre. Enfin, en 1988, Juan Pujol Garcia, alias Arabel, alias Garbo, décéda (réellement) à Caracas, emportant avec lui une partie du mythe du contre-espionnage d’antan. Un agent double qui dut son pseudo de Garbo à la grande Greta Garbo, immense actrice du cinéma des années 20 et 30, qui n’aurait pas renié les talents d’artiste de l’espagnol. Mais point d'Oscar pour Juan Pujol Garcia, espion d'Hitler, héros de l'Angleterre.
Documentaire sur Juan Pujol Garcia, dit Garbo.