guerre
On a dormi à La Fière
Par plagesdu6juin1944 | Le 07/11/2013 | Commentaires (0)
De passage dans le Cotentin on aurait pu dormir dans un hôtel. Mais comme dit l’adage, il faut essayer de joindre l’utile à l’agréable. On a donc dormi au manoir de La Fière, objectif prioritaire près d'Utah Beach de la 82nd Airborne le Jour J. Un lieu marquant, couvé par son propriétaire Mr Poisson. Un homme attentionné avec ses visiteurs qui nous a réservé une surprise. Ou comment joindre l'utile à l'exceptionnel.
Au petit matin derrière le mémorial : le pont enjambant Le Merderet est au centre de l'image.
La ferme-manoir de Mr Poisson se trouve à gauche du bâtiment masqué par la statue Iron Mike.
« Vous venez pour le débarquement ? » A voir notre sourire en coin devant le portrait de Bob Murphy* du 505th PIR, Yves Poisson s’interroge pendant la visite de notre chambre. En effet, venus pour une conférence à Sainte-Mère-Eglise, nous avons décidé de poser nos bagages chez lui, à 4 kilomètres du village. Il propose ses chambres d’hôtes du manoir de La Fière, ou il met à disposition de ses pensionnaires trois chambres proprement meublées et parées des couleurs de la 82nd. Car nous sommes sur un lieu particulier, une ferme du XIVème siècle située à quelques mètres du pont chèrement défendu par les parachutistes américains du 6 au 7 juin 1944.
L’édifice, face au mémorial des paras ou se dresse fièrement la statue Iron Mike, respire la tranquillité. Car le sentiment est troublant. Le silence du matin inonde l’atmosphère, simplement troublé par les clapotis du Merderet et les quelques véhicules qui circulent sur la petite route. 69 ans auparavant, une des batailles les plus sanglantes de la seconde guerre mondiale s’est déroulée ici pendant 3 jours. Aujourd’hui, la bataille de la Fière s’est tut, mais ce pont continue d’attirer les pèlerins et en journée le parking du mémorial est rarement désert.
La ferme-manoir de La Fière
Ci-dessus à gauche : Le foxhole ( trou défensif ) du général Gavin** a été conservé, visible en bord de route à une centaine de mètres du pont.
Ci-dessus à droite : Depuis le mémorial des parachutistes on aperçoit la chapelle de Cauquigny distante de 500 mètres environ, objectif de la 82nd le 9 juin 1944.
"J'ai quelque chose à vous montrer, restez là." |
Dans sa demeure, Yves Poisson devient disert lorsqu’il s’agit d’aborder les paras, ces anciens combattants qu’il accueille régulièrement. Membre de l’association US Normandie, il s’épanche volontiers sur les actions des hommes de la 82nd Airborne et leur devenir. Chaque commémoration du Jour J est pour lui propice pour retrouver ses hôtes, en témoignent les nombreuses photos de vétérans accrochées aux murs de son séjour ou dans les chambres. Des murs qui en juin 1944 ont bien souffert. Yves Poisson nous replonge dans ces évènements : « A la tombée de la nuit, Mme Leroux ( l’ancienne occupante du manoir ) a aperçu des parachutes qui sont tombés là derrière. Dans la nuit, on a frappé à la porte. Mr Leroux a ouvert. C’était un officier allemand. Arrivé avec un camion de blessés, il a réquisitionné la ferme et a mis les blessés dans la cuisine. Les autres allemands ont pris position dans le grenier et autour de la ferme. Quelques snipers se tenaient dans les arbres ». Plusieurs américains arrivent ensuite aux abords du domaine mais ne peuvent progresser face à la résistance ennemie. Les renforts affluent pour conquérir la position vitale qu’est le pont de La Fière. Les groupes d’assaut avancent en files le long des dépendances, usant de leurs grenades vers le manoir.
Pendant l’affrontement, la famille Leroux va se mettre à l’abri dans la cave et tombe nez à nez avec le para Lee Frigo, du 508th PIR. « Ils ont eu de la chance, précise Yves Poisson, car Lee Frigo était d’origine Canadienne et parlait très bien le français. Les parachutistes sont arrivés en nombre et ont évacué la famille Leroux. Les combats ont repris mais très vite, les allemands retranchés dans les étages ont pris des taies d’oreillers blanches et les ont agité aux fenêtres en signe de reddition ». Ainsi, les parachutistes ont pu prendre position autour du pont et attendre les contre-attaques allemandes.
"D’ailleurs, j’ai quelque chose à vous montrer, restez là." Mr Poisson part un moment nous laissant en plan dans sa cour et revient avec un paquet blanc. On dirait une toile. On n’ose demander de quoi il s’agit craignant d’apprécier sa réponse. Mais il faut vite se rendre à l’évidence : c’est bien un parachute, lui aussi vétéran du 6 juin. Ensemble nous déployons la large corolle. La voile immaculée se gonfle, et une ouverture en son centre apparait. Il explique : « Cette ouverture permet à l’air de s’échapper et évite au parachutiste d’osciller pendant sa descente ».
Ci-dessous : Le parachute tombé le 6 juin 1944 et récupéré plus tard par Yves Poisson ( en pull rayé ).
Ci-contre : Après leur libération, les normands ont trouvé plusieurs utilisations aux parachutes.
Ici, un morceau s'est transformé en tablier.
Et les chambres dans tout ça ? Elles sont homologuées Gites de France, classées 2 épis. La salle de bains et les sanitaires sont propres. Autre bon point, le petit déjeuner, copieux et agrémenté de confitures faites maison, est inclus dans le prix de la nuitée. Au cœur des marais, vous ne serez pas dérangé par le bruit ( à part si vous y séjournez le 6 juin ). Vous pouvez dormir dans les chambres Sullivan ou Murphy, à l’extérieur dans l'ancienne boulangerie du domaine. Une troisième chambre est disponible dans le manoir. Côté tarif, comptez entre 38 et 69 euros ( tarif 2013 ). Préférez donc si possible la ferme-manoir de Mr et Mme Poisson à un hôtel. Vous pouvez le matin autour du café faire connaissance avec vos voisins de chambre. C’est bien plus sympa, dépaysant et vous êtes au cœur du D-Day. |
Ferme manoir La Fière
Chantal et Yves Poisson
Face au mémorial des paras
50480 Sainte-Mère-Eglise
Tel : 02 33 41 31 77
Email : poisson.yves2@wanadoo.fr
www.chambrenormandie.fr
*Auteur du livre No better place to die
**Né en 1907, il est le plus jeune général américain de la seconde guerre mondiale. Il est à 37 ans le Jour J le commandant adjoint de la 82nd Airborne Division.
Le cimetière militaire américain de Saint-James
Par plagesdu6juin1944 | Le 31/10/2013 | Commentaires (0)
27 soldats américains tombés le 6 juin 1944 ne reposent pas aux Etats-Unis. Par choix de leurs familles, ils sont restés en France, comme 40% de leurs*. Mais leurs noms ne figurent pas parmi les allées du cimetière militaire de colleville-sur-mer. Ils sont gravés sur 27 croix en marbre blanc, au sud d’Avranches, au cimetière militaire américain de Saint-James. Son conservateur, Jeffrey Aarnio, nous a confié sa fierté d’œuvrer pour la mémoire de ses compatriotes.
Géré par l’American Battle Monuments Commission ( ABMC ), le cimetière marque l’endroit de la percée américaine entre le 25 juillet et le 7 août 1944 pour sortir de la Normandie et repiquer à l’ouest vers la Bretagne et au sud vers la Loire. Saint-James fut libéré par la troisième armée du général Patton le 1er août. D’abord provisoire, la nécropole fut définitive en 1949. L’herbe et les haies finement taillées annoncent l’entrée principale. En arrière, on distingue un haut mémorial en granit de style roman élevé par William T. Aldrich, avec son carillon dominant les 14 hectares du site. En portant son regard du haut de cette tour le Mont-Saint-Michel se devine au loin. A l’intérieur du bâtiment se trouve une salle de plans et une chapelle surmontées par la devise de l’académie de West Point « Duty-Honor-Country ». Devant ce mémorial, gardé par deux hauts-mâts d’où claquent les drapeaux étoilés, une voie pavée centrale convie les visiteurs aux 4 410 pierres tombales. Ainsi, face aux 498 noms de disparus inscrits sur le mur de soutènement de la terrasse, 4 329 croix latines et 81 étoiles de David dévisagent les passants.
L’ABMC L’American Battle Monuments Commission est une agence du gouvernement américain ayant la charge et l’entretien de 24 cimetières et 25 monuments aux morts répartis dans 15 pays. Elle s’évertue à honorer la devise de son premier président le général de Corps d’Armée John J. Pershing « le temps n’effacera pas la gloire de leurs actions ». Concernant le cimetière militaire de Saint-James, la France a concédé un droit perpétuel de jouissance aux Etats-Unis, sans frais ni impôts. |
Pour les Etats-Unis d’Amérique, ériger des croix latines ou des étoiles de David constitue une pratique spécifique à leurs cimetières situés outre-mer. De plus, après-guerre, les familles pouvaient être surprises lorsqu’elles demandaient à rapatrier le corps de leur fils ou de leur frère. En effet, parfois lorsque les parents d’un soldat tué souhaitaient que celui-ci soit inhumé outre-Atlantique, ils pouvaient découvrir qu’il s’était marié à leur insu avec une britannique. Et que sa veuve avait depuis exigé que la dépouille de son défunt mari repose en terre française.
Ernest W. Prussman, Pfc, 13th Infantry Regiment, 8th Infantry Division Le 8 septembre 1944, en Bretagne près de Loscoat, la résistance allemande est acharnée. Deux bataillons américains sont bloqués par le feu nourri surgissant des fortifications. Faisant fi du danger, le 1ère classe Prussman se lance au-delà des haies et parvient à désarmer deux ennemis. Il repart à découvert, neutralise un canon en capturant ses servants et deux autres tireurs. Il est ensuite mortellement touché. A terre, il parvient à lancer une grenade en direction de son agresseur et le tue. Son courage et son abnégation ont permis de démoraliser ce qui restait d’allemands et les deux bataillons ont ainsi pu progresser. Pour sa bravoure, il s’est vu attribuer la médaille d’honneur du Congrès. Il est inhumé à Saint-James, plot A, rangée 12, stèle 14. |
Joseph Smolik, 507th PIR 82nd Airborne. Vester Millard, 506th PIR 101st Airborne. Keith Bryan, également du 506th. Tous trois ont été tués le Jour J. Comme leurs 24 comparses tombés ce jour, ils reposent à l’ombre des châtaigniers. Plus restreint et moins couru par les touristes que son grand frère d’Omaha Beach distant de 150 kilomètres, Saint-James est veillé avec attention par son responsable, le superintendant Jeffrey Aarnio. Ancien membre des troupes aéroportées et marié à une française, il cultive rigoureusement le souvenir de ces hommes restés jeunes à tout jamais.
Jeffrey Aarnio veille respectueusement sur l'ultime demeure de ses compatriotes
En tant qu’américain et passionné d’histoire, qu’est-ce que cela représente pour vous d’accueillir les visiteurs et de gérer le cimetière militaire de Saint-James ?
Jeffrey Aarnio : Cela représente une énorme responsabilité. C’est une grande fierté de faire ce métier. Tout d’abord parce que je viens d’une famille ou pas mal de membres ont porté l’uniforme pendant la seconde guerre mondiale, au Vietnam, et moi-même plus tard. Je sais à quel point c’est important pour les familles de s’occuper des leurs et de leurs montrer que le gouvernement américain n’a pas oublié ses soldats qui sont enterrés en outre-mer, en dehors des Etats-Unis.
Il y’a un moment particulier qui vous a marqué lors d’une visite d’une famille ?
Beaucoup de familles m’ont marqué lors de leurs visites. Il y’en a deux particulièrement : le neveu d’un soldat noir américain qui a été décoré de la médaille d’honneur en 1992 par le président Bush père. C’était la mère de ce neveu qui avait fait le déplacement depuis la Caroline du sud pour recevoir la médaille attribuée à son frère. Et ce après une longue enquête pour savoir qui méritait la plus haute distinction militaire américaine, car après la première guerre mondiale il y’avait beaucoup de racisme. Cela a empêché certaines catégories de soldats de recevoir cette distinction. Cet homme était le premier soldat noir à recevoir cette médaille d’honneur. L’autre rencontre marquante était avec une nièce d’un soldat de la première guerre mondiale enterré à côté de Verdun ( Jeffrey Aarnio était auparavant superintendant du cimetière militaire de Seringes-et-Nesles dans l’Aisne ). Originaire du Nebraska, elle était centenaire, dans un fauteuil roulant. Lorsque je lui ai demandé l’autorisation pour la prendre en photo à côté de la stèle de son oncle, elle s’est mise debout, son regard plongé dans le mien, et m’a dit avec une grande fierté : « si le fauteuil n’est pas dans la photo, allez-y. » C’était très émouvant.
Qu’avez-vous prévu pour les célébrations du 70ème anniversaire du D-Day en 2014 ?
Pour l'instant nous avons juste fixé la date du 26 mai pour le Mémorial Day mais pas encore l'heure dans l'après-midi. Autrement, nous sommes en train de planifier une cérémonie le 1er juin pour un concert, puis le 5 juin avec entre 500 et 800 musiciens présents au cimetière. Enfin une cérémonie se tiendra surement pour les paras mais la date pour l'instant reste à déterminer.
Propos recueillis par Stephane Samson
contact@plagesdu6juin1944.com
Voir le diaporama du cimetière militaire de Saint-James
* voir article sur les cimetières militaires provisoires américains du 27 octobre 2013
BRITTANY AMERICAN CEMETERY
50 240 Saint-James
Tel : 02 33 89 24 90
http://www.abmc.gov