Opération Pluto, les alliés évitent la panne sèche.
Par plagesdu6juin1944 | Le 23/07/2016 | Commentaires (0)
Une jeep consomme 15 litres d’essence aux 100 kms. Un char Sherman ingurgite 412 litres. Un C-47 englouti 400 litres par heure de vol. Afin de subvenir aux besoins colossaux en carburant des armées lors de la Bataille de Normandie, l’Angleterre va devoir se muer en 1944 en station-service. Jamais avares de trouvailles inédites afin d’assurer leurs conquêtes, les services de Churchill vont alors créer le premier oléoduc sous-marin de l’histoire.
Régnant depuis la fin du 17e siècle sur les hauteurs du port de Port-en-Bessin, la tour Vauban se dresse face au large et au temps qui passe. En contrebas de cette fortification, sur le quai, un mémorial rappelle que la commune fut le témoin d’une des plus grandes réussites logistiques de la Seconde Guerre Mondiale. Sur le monument, le passant peut lire : « 1944-2004 Port-en-Bessin port pétrolier du Débarquement. »
(baris tarim)
Retour en 1944. Une division blindée américaine nécessite sur route 228 tonnes de combustible par jour*. Véritable nerf de la guerre mécanisée, la prise d’un territoire ne peut être envisagée sans essence. Et sa pénurie peut vite devenir un sujet d’angoisse pour chaque camp. En exemple, sur le théâtre d’opérations nord-africain, l’une des principales missions des commandos SAS était la destruction des réserves de carburant des troupes allemandes, au grand dam du Maréchal Rommel.
Afin d’ancrer les troupes d’assaut et les faire progresser en Normandie, ce sont 2 000 tonnes de carburant qui devront quotidiennement être livrées sur les 5 secteurs de débarquement. Et la demande sera croissante au fur et à mesure que les renforts des unités d’infanterie, des blindés et de l’aviation viendront grossir les rangs des alliés dans l’hexagone.
Habituellement, les divisions américaines sont alimentées en essence grâce aux jerrycans. Quant aux britanniques, ils convoient aussi le précieux liquide dans des fûts. Hors il s’avère évident pour l’état-major allié que cette logistique classique trouvera vite ses limites pendant la Bataille de Normandie, en l’absence d’un grand port pouvant recevoir et dispatcher l’énergie nécessaire aux 2 millions de combattants alliés entre juin et août 44. Même si les libérateurs sortent deux ports flottants artificiels de leur chapeau, à Arromanches et à Saint-Laurent-sur-mer, un système d’approvisionnement supplémentaire doit être trouvé.
Et justement, les britanniques ont une autre révolution dans leur couvre-chef : l’opération PLUTO, acronyme signifiant Pipe-Line Under The Ocean ou Pipe-Line Underwater Transport of Oil. Cet oléoduc sous-marin va s’établir en 2 phases. Le Minor System est d’abord mis en place le 16 juin 1944 sur Gold Beach, au large de Port-en-Bessin et de Sainte-Honorine-des-Pertes. Des tankers viennent se positionner au large pour s’arrimer à de petits pipelines. Pompé vers la côte par des stations, le carburant est préservé dans de grandes cuves puis dirigé vers St-Lô. Le processus fonctionne et ce sont 2.4 millions de litres d’essence qui sortent chaque jour des tuyaux normands. A la fin du mois d’août, 175 000 tonnes de carburant ont été livrées. Toutefois cette manne sera insuffisante pour accompagner l’avancée des alliés sur le continent. Car selon le calendrier fixé par le Commandant suprême du corps expéditionnaire Allié, le Général Eisenhower, ce sont 8 millions de litres qui devront quotidiennement parvenir aux troupes.
Mise à terre du pipeline à Port-en-Bessin. (IWM) | Les tuyaux arrivent sur le quai, en contrebas de la tour Vauban. (IWM) |
En charge du projet et des Opérations Combinées, Lord Louis Mountbatten déploie alors la seconde phase ambitieuse de PLUTO : le Major System, trait d'union entre le Royaume-Uni et la Normandie. Deux stations de pompage anglaises sont opérationnelles, une sur l’île de Wright, codée Bambi, l’autre dans le Kent, appelée Dumbo. Camouflées en Bungalows, elles seront connectées au port de Cherbourg par un jeu de 10 pipelines sous-marins longs chacun de 110 kms. Cherbourg est libéré le 26 juin, les alliés tablent alors sur une mise fonction de PLUTO fin juin. Hors cette espérance va être douchée par les retards dus à la remise en état du grand port du Cotentin saboté par les allemands.
De plus le chantier en mer est colossal. Chaque section composant le pipeline mesure 15 mètres de large et 27 mètres de long. Leur mise en place, via des tambours flottants (conundrums), est un travail de longue haleine. Néanmoins le génie fait des miracles et en septembre les vannes peuvent s’ouvrir à Cherbourg. Chaque jour, 3 000 tonnes de combustibles arrivent depuis les profondeurs de la Manche. La production atteint même 4 500 tonnes journalières en octobre. Le Major System se prolonge vers le Sud, direction St-Lô, afin de se raccorder au Minor System de Gold Beach.
Le dévidoir géant, ou Conundrum, attend de recevoir dans un bassin sa section de pipeline. (IWM) |
PLUTO continuera à fonctionner encore quelques mois après la capitulation allemande en mai 1945. Tous les éléments pouvant être récupérés sont démontés entre 1946 et 1949. L’acier et le plomb sont recyclés. Aujourd'hui, en Basse-Normandie, des restes isolés de cet exploit technologique sont encore visibles, comme à Coupigny où un vieil oléoduc traverse encore le lit d'un ruisseau alimentant la rivière La Muance. Une formidable prouesse réalisée par les Britanniques, traduite par cette réplique de leur Premier Ministre Winston Churchill : "Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l'opportunité dans chaque difficulté."
* Antony Beevor, "D-Day, The battle for Normandy", Penguin Books.
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