2/5 Les fortes têtes du D-Day : Ernest Hemingway
Par plagesdu6juin1944 | Le 06/08/2017 | Commentaires (0)
Il couvrit la guerre par trois fois, et convola avec encore plus d'épouses. Témoin du Débarquement allié sur Omaha Beach et de la libération de Paris, Hemingway reçut le Prix Nobel pour Le vieil homme et la mer. Auréolé de diverses légendes, ce chasseur irritant, écrivain génial et globe-trotter alcoolique, finit par se suicider.
« Les canons de 14 pouces du Texas projetaient un éclair loin du navire, comme de la porte d'un haut-fourneau. Puis un nuage de fumée brune et jaunâtre se formait, s'étendait jusqu'à nous, et le choc du recul nous frappait, cognant sur nos casques, frappant notre oreille comme un coup porté avec un gant pesant et sec. Sous leur casque d'acier, ils avaient l'air de piquiers du Moyen-âge auxquels un monstre étrange et incroyable serait venu en aide en pleine bataille. »
Tels furent les mots que coucha sur le papier Ernest Hemingway, correspondant pour l'hebdomadaire Collier's, lorsqu'il assista au débarquement des GI's de la Big Red One sur Omaha. Les mots sont forts, choisis, ciselés par l'écrivain-reporter secoué par les vagues aux abords de Fox Green.
"Il était le partenaire des boxeurs à l'entraînement, l'ami des garçons de café, le confident des prostituées."
Hemingway attiré par les conflits
Mais le baroudeur américain n'en est pas à son premier conflit. Adolescent, il s'adonne à la pêche et à la chasse, avant de se tourner vers le sport et l'écriture. Le talent est là, indéniable, et il fait ses premières parutions dans le journal de son école. Les Mémoires d'un ancien correspondant de guerre, R.H. Davis, le fascine. Pour lui, un jeune journaliste peut accumuler autant d'expérience en quelques années que bien des hommes au cours de leur vie. Il choisit alors sa voie : se trouver au coeur de l'histoire en marche, au cœur de l'action. En 1917, il travaille pour le Kansas City Star alors que l'université lui tend les bras. Les États-Unis entrent en guerre et envoient un contingent ferrailler en Europe contre le Konpriz. Hemingway veut combattre au front, mais est recalé à cause de sa vue défaillante. Qu'à cela ne tienne, le jeune homme se porte volontaire pour la Croix Rouge italienne et devient ambulancier. En conflit avec sa mère, qui enfant l’appelait "poupée chérie", l'habillait en fille et refusait de lui couper les cheveux, cette aventure lui permet de s'échapper de la castration maternelle. Arrivé en Italie, il y est grièvement blessé aux jambes en juillet 1918, mais cette péripétie ne brisera pas son goût du sang et de la poudre, bien au contraire. Il délaisse alors les brancards et intègre l'infanterie du pays de Dante.
Après-guerre, en 1922, il s'installe à Paris avec sa première épouse Hadley. Quel plus bel écrin que la ville lumière pour l'esprit fertile du journaliste, loin de la prohibition américaine. Mais si la capitale fascine, elle est aussi piégeuse pour les âmes tourmentées, ou la plume est facile à troquer contre une bonne bouteille. Les soirées alcoolisées sont autant de jalons rythmant le quotidien de l'écrivain. Hem rejoint la Génération Perdue, souvent dans les cafés de la rive gauche. Pour le Toronto Star, il parvient à interviewer Mussolini, qu'il qualifiera plus tard de « pauvre type ». Puis il publie en 1926 son premier roman, Le soleil se lève aussi. A sa sortie, l'ouvrage est jugé immoral, les personnages étant ivres dans chaque chapitre. Une autobiographie par procuration en somme. Au rayon des premières, on peut également y ranger son divorce un an plus tard. Hadley dira de son ex-mari : "Il était le partenaire des boxeurs à l'entraînement, l'ami des garçons de café, le confident des prostituées."
L'écrivain s'en remet grâce à son union la même année avec Pauline. En 1929, son Adieu aux armes connaît un succès fulgurant. L'histoire d'un ambulancier américain blessé au combat et qui connaît une relation charnelle avec une infirmière anglaise. Ça vous rappelle quelqu'un ? 20 000 exemplaires sont vendus tous les mois, pour Hemingway, c'est la consécration. Mussolini goûte beaucoup moins la beauté de l’œuvre et la fait interdire, tout comme un shérif de Boston qui juge le livre scandaleux. Qu'importe pour Hemingway qui encaisse les importants droits d'auteur. Pour passer le temps, il s'entoure d'un régiment de chats et on peut l'apercevoir à la chasse, à la pêche, à la corrida ou aux courses de chevaux.
Seulement, au Sud, en Espagne, un nouveau conflit s'annonce. Dans cette guerre civile, le journaliste prend fait et cause pour les républicains. A Madrid, il fait aussi la rencontre d'un autre reporter, un certain Robert Capa, avec lequel il se lie d'amitié. Capa lui donnera son fameux surnom, Papa. Publié en 1940, le roman Pour qui sonne le glas revient sur son vécu dans la péninsule ibérique en guerre.
Divorcé à nouveau puis remarié avec Martha en 1940, il avait prédit la prise de pouvoir des fascistes. Il créé un réseau de contre-espionnage à Cuba où il réside et dote son bateau de pêche, le Pilar, d'un bazooka afin de traquer les U-Boote allemands...
Direction la Normandie en 1944
En 1944, il se trouve en Angleterre pour couvrir l'Opération Overlord. En attente à Plymouth, le Lieutenant George Elsey de l'USS Ancon croise le correspondant avec la tête momifiée par un bandage. Sans doute les séquelles d'un accident, conséquence d'un taux alcoolémie incompatible avec la conduite automobile au retour d'une soirée donnée par son ami Capa. Pourtant, il ne faisait que mettre à exécution l'une de ses maximes écrite dans Pour qui sonne le glas : « Un homme intelligent est parfois obligé d’être saoul pour passer du temps avec les imbéciles. »
Le 5 juin, Hemingway se trouve sur le Dorothea L. Dix, puis est transféré sur l'Empire Anvil avant d'embarquer sur une barge au milieu des membres de la 1st US Infantry Division. Destination par-delà la Manche, vers l'enfer Normand. Contrairement à Capa, il n'est pas autorisé à mettre pied à terre, mais de son témoignage, Collier's publiera l'article En route pour la victoire. Morceau choisi : « Alors que nous avancions vers la terre, dans la pâleur grise de l'aube, l'embarcation de fer ressemblant à un cercueil de 12 mètres, prenait des paquets d'eau verte qui retombaient sur les têtes casquées des hommes serrés épaule contre épaule, dans l'inconfortable, l'insupportable, la dure solitude des soldats allant au combat. »
En fait, il ne fait qu'un aller-retour le Jour J, mais revient en France le 18 juillet pour suivre la cavalcade de la 3ème armée du Général Patton. Il en profite pour s’intéresser à la 4th US ID de son ami le Général Barton, et est intégré au 22nd Infantry Régiment. Seulement des tensions vont apparaître avec un autre comparse, Capa. Début août, Hemingway file à toute allure dans une prise de guerre, un side-car allemand. Cependant le pilote, Archie Pelkey, perd le contrôle de l'engin et c'est l'accident. Encore blessé au crâne, il est pris en photo par le correspondant de Life. S'en est trop pour le bouillonnant Ernest qui l'accuse de vouloir faire un scoop à ses dépens.
Le front avance, passe la Seine. Et bientôt, Hemingway est de retour à Paris. La légende veut qu'il ait libéré le Ritz avec l'aide d'une douzaine d'hommes de la Division Leclerc. Sa victoire aurait été de débarrasser l'un des plus fameux comptoirs de Paris de l'occupant teuton. Ce que l'on sait, c'est qu'il se présenta en tenue mi-militaire, mi-civile face au Général Leclerc et demanda un blindé de reconnaissance, deux ou trois jeeps et une demi-douzaine d'hommes pour libérer le bar du Ritz. En réponse, l'officier français traita l'américain de clown. Ce dépassement de fonction pendant La Libération de la capitale lui vaudra des réprimandes. En effet, le journaliste s'était mué en soldat, et ce mélange des genres fit tâche. Pourtant, entre deux cuites, il restait lucide sur les affres du conflit : « Qu'elle soit nécessaire, ou même justifiée, ne croyez jamais que la guerre n'est pas un crime. »
"Sa vie fut un roman si complexe, que, probablement, pour l’écrire il faudrait un romancier supérieur à Hemingway lui-même."
Le vieil homme est amer
Après-guerre, son troisième mariage s'évapore plus vite que le bon Whisky. Martha n'en peut plus de ce mari râleur, ivrogne et bagarreur. Mais le célibataire ne reste pas longtemps sur le marché et son quatrième (et dernier !) mariage avec Mary à lieu en 1946. D'après une autre rumeur, c'est elle qui lui aurait inspiré le nom d'un cocktail, le Bloody Mary (Marie la sanglante), du fait des colères qu'elle piquait lorsqu'il buvait trop. Disputes dont le FBI, à l'écoute, ne devait pas perdre une miette. Du fait de ses prises de position lors de la guerre d'Espagne et de ses discussions avec Fidel Castro, le bureau fédéral surveillait activement l'auteur.
Son dernier roman, Le vieil homme et la mer, le consacre à jamais. La critique dithyrambique lui vaut le prix Pulitzer (1953) et le Prix Nobel de littérature (1954).
Seulement, le vieil homme est amer. La gloire est un bien faible remède fasse au mal qui le ronge. Car Hemingway est atteint de diabète, la maladie progresse, et lui enlèvera bientôt la vue et le rendra impuissant. S'en est trop pour le vétéran de trois guerres. Lui qui vit la mort frapper tant de fois choisit le 2 juillet 1961 d'en finir. Refusant de vivre dans la pénombre, il prend son fusil, place le canon dans sa bouche et fait feu. Ce n'était pas sa première tentative. Il avait plusieurs fois tenté de mettre fin à ses jours, en voulant se jeter d’un avion taxi, ou bien en profitant d’une escale pour glisser sa tête dans une hélice en fonctionnement. Il faut dire que c'est une mode familiale. De forts troubles mentaux causèrent de nombreux suicides dans sa famille, notamment son père, sa sœur, son frère ainsi que sa petite-fille. Ainsi sonna le propre glas d'Hemingway. Et le Ritz perdit l'un de ses plus illustres défenseurs.
La meilleure conclusion, c'est peut-être l'auteur Colombien Gabriel Garcia Marquez qui la trouva à propos de ce singulier confrère : « Le meilleur roman du nouveau prix Nobel est le roman de sa vie. Un roman si complexe, que, probablement, pour l’écrire il faudrait un romancier supérieur à Hemingway lui-même. »
Robert Capa et Ernest Hemingway avec leur chauffeur Olin L.Tompkins à la veille du D-Day. |
Papa et Fidel Castro en 1960, au grand dam du FBI. |
Sources :
Livre Histoires insolites du Débarquement, de Frédéric Veille et Frédéric Leterreux
Livre Jour J, de Warren Tute, John Costello et Terry Hughes
Dictionnaire du Débarquement, sous la direction de Claude Quétel
Article de l'express du 07/02/2011
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