Les paras : mythe et faillite d'une arme ?
Par plagesdu6juin1944 | Le 19/10/2011 | Commentaires (0)
Dans son numéro 3, la revue trimestrielle Guerre et Histoire consacre un dossier sur l’arme aéroportée. Le dossier « Les paras, la faillite d’une arme, le triomphe d’un mythe » revient sur la création et les résultats souvent laborieux des différentes unités parachutistes depuis leurs apparitions dans les années 30. Un dossier intéressant proposé par cette jeune revue et dans lequel nous avons sauté à pieds joints.
Les premiers à élaborer une troupe aéroportée significative furent les soviétiques. Staline, séduit par la conception de l’enveloppement vertical, décide de mettre en œuvre cette nouvelle arme. Dès 1932, une brigade voit le jour et les premiers largages massifs dans l’armée rouge ont lieu. En 1938, leurs alliés nazis leur emboitent le pas. Les troupes d’élite allemandes vont d’ailleurs réaliser un assaut qui va faire grand bruit dans tous les états- major. Le 10 mai 1940, le fort belge D’Elmen-Emael est une forteresse réputée imprenable et la clé de voute du système défensif belge. 85 paras allemands se posent en planeur sur l’objectif et s’en rendent rapidement maîtres. Dans le même temps, les soviétiques affichent dorénavant 6 brigades formées chacune de 3 000 hommes. Lorsque le führer brise le pacte de fer le 22 juin 1941 et attaque à l’est, l’armée rouge accuse 5 corps aéroportés forts de plus de 10 000 hommes. L’arme atteindra son point culminant en 1943, quand 200 000 soldats auront reçu leur brevet de para.
Au commencement, Staline enregistre quelques succès lorsqu’il s’agit de petites opérations comportant quelques dizaines d'hommes largués sur les arrières de l’ennemi pour détruire ses moyens de communication et sa capacité de ravitaillement. Cependant les soviétiques atteignent rapidement leurs limites. Les hommes sont mal équipés, sous-préparés (seulement 2 mois d’entraînement et 4 sauts de qualification), et mal encadrés. De plus les largages ne supportent pas l’improvisation et la hiérarchie soviétique fait preuve d’une grande légèreté dans la préparation des missions assignées aux paras. Enfin, la chaîne de commandement est bien trop complexe pour permettre une prise de décision et une action rapide sur le terrain ( problème que rencontrerons également les allemands lorsqu'ils devront se défendre le jour J ). Deux opérations d’envergure sonnent le glas des paras soviétiques dans la seconde guerre mondiale. Les sauts sur Viazma en janvier 1942, puis sur Boukrine en septembre 1943 échaudent le parti. Le coût humain est trop important pour obtenir un semblant de succès. Comme Hitler le fit avant lui, Staline se passe alors de ses troupes de choc.
Quatre constations le poussent à prendre cette initiative :
- Les transports aériens sont vulnérables face aux défenses de plus en plus précises des ennemis
- Les paras sont trop tributaires des bonnes conditions météorologiques
- Faute de moyens de locomotion efficaces, les hommes sont peu mobiles une fois au sol
- Ils sont extrêmement fragiles face aux unités blindées qui leurs barrent la route
Malgré ces facteurs et bien que perplexes quant aux résultats aléatoires des parachutistes, les alliés leurs accordent une plus grande importance. Mis en place en 1940 chez les américains et les britanniques (voir pages sur l’US airborne et la 6th Airborne ) leur mise en jambes fut souvent laborieuse. Cependant comment ne pas saluer la contribution des 3 divisions larguées en Normandie dans le succès d’Overlord. Une interrogation peut alors être posée : on loue souvent que le débarquement amphibie américain sur Utah Beach a été une réussite. Les pertes sérieuses des paras arrivés auparavant masquent-elles ce succès ? Sans leurs camarades aérotransportés, les fantassins auraient-ils frisés le désastre comme leurs homologues sur Omaha Beach ? Cela mérite réflexion…
De gauche à droite : insignes de la 82nd et 101st Airborne US, puis la 6th British Airborne
Après-guerre, l’enveloppement vertical perd de sa superbe et les grandes nations rechignent à procéder à nouveau à des largages massifs. Les unités paras ne subsistent alors que pour le prestige de l’unité et par le lobbying de leurs vétérans. Les armées sont de plus en plus mécanisées et le taux d’équipement en blindés s’accroit grandement, rendant le parachutiste toujours plus vulnérable. Trop exposés, les paras doivent aussi composer avec les missiles anti-aériens devenus courants au-dessus des conflits actuels.
Les parachutistes changent alors d’objectifs et deviennent le recours anti-insurrection par excellence. Les français en font grand usage en Indochine puis en Algérie. Fini le C-47 et le planeur si fragile, place à l’hélicoptère ! ( Sa première utilisation eu lieu le 22 avril 1944 en Birmanie, lorsqu’un Sikorsky R-4 assura un sauvetage). Dorénavant, les hommes se posent sur leur DZ et l’appareil apporte également un appui au sol appréciable avec l’ajout à son bord de mitrailleuses. Au Viêtnam, les américains consommeront une quantité considérable de UH-1 pour leur cavalerie aéroportée. Pour les Britanniques, le 1er Parachute Battalion aura la responsabilité de la sécurité des habitants de Belfast entre 1969 et 2003.
Des largages subsistent, mais contre un ennemi mal équipé (comme le saut des français sur Kolwezi, au Zaïre, le 19 mai 1978). En effet, les dirigeants militaires ont privilégié l'enveloppement vertical après-guerre contre des nations de faible calibre défensif. Une action d'envergure contre une force mieux préparée et équipée aurait tourné au fiasco, et les retombées médiatiques auraient été désastreuses.
La 82nd progresse dans les rues de Sainte-Mère-Eglise
Revenons au mois de juin 1944. Les coups de mains du 6 juin des 6th, 82nd et 101st Airborne auraient-ils réussi sans les « répétions » précédant le D-Day (saut des Britanniques sur Bruneval en février 1942, à Oran pendant l’opération Torch en novembre puis en Sicile en juillet 43 pour les américains). Entre 1940 et 1944, les alliés ont enregistré nombre d’échecs et autant de demi-succès. Seulement sans ses expériences, ces troupes aguerries (à l’exception de la 101st dont c’était le baptême du feu le 6 juin 44) auraient-elles remplies leurs missions et grandement contribuées à rendre possible le débarquement de l’infanterie sur les 5 secteurs d’assaut sur le littoral normand ? A l’exception des hommes transportés par planeurs, tous étaient volontaires pour sauter d’un avion en parfait état de marche. Ils ont subi le meilleur et le plus endurant des entraînements, et fait honneur à la devise du 506th régiment de la 101st : Currahee ! (cri de guerre indien qui signifie Nous combattons seuls). Seuls mais ensembles ( voir le livre frères d'armes, de Stephen Ambrose ). Ces hommes d'exception ont fait plus que leur part en Normandie, en Hollande pendant l'opération Market Garden, ensuite dans les Ardennes, puis sur le Rhin en 1945. Rattrapés par les avancées technologiques et le perfectionnement des moyens de défenses, ces unités ont vu leurs contingents se réduire et leurs missions évoluées. Ainsi la 82nd et la 101st airborne US (devenue cavalerie aéromobile) deviennent-elles aujourd'hui des unités statiques en Afghanistan, livrées à la chasse des insurgés ou à la traque des leaders d’Al-Qaida.
Le para en chiffres dans la 101st Airborne Us le 6 juin 1944 : 433 C-47 ont été utilisés pour largués les 6 900 parachutistes 41kgs : comme le poids moyen de son barda 2.14 sauts : comme sa durée de vie opérationnelle au combat 50 $ : comme sa prime mensuelle ( soit environ 1 000 $ de nos jours ) 1 240 : comme le nombre d'hommes hors de combat au soir du 6 juin 1944 |
Fidèles à leur savoir-faire selon lequel un para doit toujours s’adapter et réussir, ils ont su se remettre en question depuis 1945 et réinventer leur arme sans oublier l’esprit d’excellence qui les gouverne. Au final, ce numéro est fort instructif. Lors des commémorations du D-day, les vétérans parachutistes sont accueillis comme de véritables icones, portées par les souvenirs de leur bravoure et de leurs sacrifices d’antan. Se retrouver en terrain hostile, encerclé sur les arrières de l’ennemi, ne pouvant compter que sur le camarade se tenant à ses côtés, là était le courage et la détermination. Cependant après avoir recensé les tragédies et les nombreuses pertes enregistrées lors des assauts aéroportés perpétrés avant le 6 juin 1944, on mesure la circonspection des dirigeants militaires et politiques quant aux chances de réussite des paras pendant le D-Day. Mais plus encore, on touche du doigt la dangerosité de ses missions parfois sans retour. Mais ces hommes ne pouvaient hésiter, et s'ils devaient réussir, ce devait être ce 6 juin là. Cet article ouvre plusieurs questions : Un désastre sur Utah beach a-t-il été évité grâce à la présence des paras ? Tous les échecs enregistrés par les alliés entre 1940 et mai 1944 valent-ils la réussite du jour J ? Le para était-il à cette époque un élément "sacrifié" pour permettre à l'infanterie de progresser ?
Retrouvez ce dossier complet de 14 pages dans le troisième numéro de Guerre et Histoire, réalisé par Pierre Grumberg, Jean Lopez, Marc de Vore, Benoist Bihan et Michel Goya.