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Conférence à Blois sur le D-Day
Par plagesdu6juin1944 | Le 12/10/2013 | Commentaires (0)
Cette année les 16ème Rendez-vous de l’Histoire de Blois ont pour thème La Guerre. Dans le cadre de ce festival a eu lieu une table ronde : "Le 6 juin 1944 : de l’évènement au mythe" animée par Emmanuel Thiébot, Jean-Luc Leleu et Olivier Wieviorka. Nous vous livrons les séquences marquantes de cette heure et demi d’échanges sur le D-Day. Un Jour J dont certains aspects furent remodelés après-guerre par les communicants alliés pour se muer en épopée héroïque. Une vision biaisée, statégique et politique pendant la guerre froide qui encore aujourd'hui à la peau dure.
Plusieurs centaines de personnes se sont pressées dans l’amphi rouge de la chambre de commerce et d’industrie de Blois afin de revoir leurs classiques sur le débarquement en Normandie. L’atmosphère est studieuse mais détendue pour l’assistance et les intervenants. Devant les travées, Emmanuel Thiébot, historien au mémorial de Caen, présente ses deux acolytes : à sa gauche, Jean-Luc Leleu*, ingénieur de recherche CNRS au Centre de Recherche d’Histoire Quantitative. A ses côtés, Olivier Wieviorka**, professeur d’histoire contemporaine à l’Ecole normale supérieure de Cachan. Tutoiement de rigueur entre les 3 hommes qui vont devant nous tenter de casser certaines idées reçues sur le 6 juin 1944.
De gauche à droite : Emmanuel Thiébot, Jean-Luc Leleu et Olivier Wieviorka
Le débarquement : une épopée qui se termine bien et ou tout le monde se sert les coudes ?
Le premier à s’y coller est Olivier Wieviorka. En bon enseignant, il se lève et commence son exposé : "L’image que nous avons du débarquement ne correspond qu’imparfaitement avec la réalité historique. Nous le connaissons à travers de ce que nous raconte les films Le jour le plus le long, Il faut sauver le soldat Ryan, le musée d’Arromanches, ou le mémorial de Caen. On nous propose de voir le débarquement comme une épopée. Comme beaucoup de films hollywoodiens, cette épopée se termine bien, et cette opération était quasi assurée de sa réussite. Les alliés étaient sûrs de la victoire et avaient une grande force morale dans cette « good war ». Mais cette image ne correspond pas à la réalité telle que les historiens la travaille. Il y'a eu des échecs et les troupes alliées doutaient. L’entente entre les britanniques et les américains était loin d’être parfaite. Et l’on peut dire que le débarquement n’est pas une épopée, mais une opération militaire.
"Certains s’automutilent. En août la première armée américaine enregistre 5 869 cas dans ses rangs, soit 36% des pertes non mortelles pour raisons psychiatriques." |
Premièrement, l’évidence d’un débarquement en France ne l’était pas pour tout le monde. Churchill a tout fait pour éviter un débarquement en 1944 sur le théâtre d’opération du nord-ouest. Car lui militait pour une approche militaire méditerranéenne. C’était un adversaire résolu du débarquement en Normandie. Il a fallu que Staline et Roosevelt mettent tous leurs poids dans la balance pour faire plier le britannique et c’est pour cela que les alliés n’ont eu à partir de décembre 43 que 5 mois pour préparer Overlord.
Ensuite on imagine que l’Amérique bénéficiait d’un écrasant rapport de force face à l’ennemi. Avant la guerre, l’Allemagne est un pays faiblement industrialisé. Ceci dit la mobilisation anglo-américaine est loin d’être parfaite. Les américains voulaient éviter de mobiliser trop d’hommes. Parallèlement le Royaume-Uni peine à construire une économie de guerre. Il est réticent à produire en série, car ce travail est déqualifiant pour les ouvriers et ses self made men ( ses entrepreneurs ) se méfient de ces "crânes d’œufs" d’américains. Un exemple de ce retard : les deux tiers des chars utilisés pendant la bataille de Normandie sous pavillon britannique sont des blindés américains.
De plus rappelons que l’ennemi pour l’opinion américaine est le japonais. L’Amérique a donc du mal à comprendre pourquoi on s’attaque d’abord aux allemands, une population très intégrée aux Etats-Unis, plutôt qu’aux japonais. Quant aux anglais, ils sont fatigués, car en guerre depuis 1940 et ont vécu une très longue crise depuis les années 20. Ils sont las, épuisés et commencent à rêver de l’après-guerre. Donc l’image populaire de troupes enchantées de débarquer mérite quelques correctifs. Voici un autre exemple de divergence dans les états-majors : combien faut-il de barges pour acheminer les troupes en Normandie ? Les britanniques estiment qu’ils vont en perdre 50%. Les américains pensent que la perte sera de 5 à 10%. Au final, le taux de viabilité a été de 97.6 à 99.3%, les américains ont eu raison d’être optimistes.
Ensuite dans le déroulement des plans, tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Pour le bombardement aérien, des aviateurs ont eu la trouille et ont largué leurs bombes dans la mer. D’autres ont été trop prudents et ont largué dans les terres. Donc le résultat est décevant mais le bombardement naval a été bien meilleur. Cependant les pertes ont été très limitées sur les plages, environ 4 000 hommes, soit 2.8% des forces engagées. Les plages sont prises le soir même et les britanniques se permettent même de prendre le thé à 5 heures, à la grande fureur des américains. Le mur de l’atlantique a donc duré 4 heures, hormis sur Omaha Beach. Mais la bataille de Normandie a été horrible. Les britanniques devaient s’emparer de Caen dans la journée, objectif surtout en faveur des aviateurs qui réclamaient des bases sur le continent. Hors Montgomery se casse les dents sur la libération de la ville qui ne sera prise que le 19 juillet. Le schéma stratégique des alliés a échoué sur 2 plans. Ils sont enlisés sur la tête de pont et en plus 50% des missions aériennes sont bloquées à cause du mauvais temps. Quant aux blindés, ils ont du mal à progresser. Du 6 au 25 juillet c’est une impasse avec une congestion sur les plages.
En outre les hommes craquent. Les états-majors sont confrontés à une véritable épidémie de psychonévroses dues aux chocs des combats. Certains s’automutilent. En août la première armée américaine enregistre 5 869 cas dans ses rangs, soit 36% des pertes non mortelles pour raisons psychiatriques. On retirait les hommes pendant deux jours, on leurs donnait un nouvel uniforme, un repas chaud, on les rassurait et grâce à cette méthode, plus de la moitié de ces soldats repartaient au front. Quant à l’impasse stratégique, ce sont les américains qui vont la résoudre avec l’opération Cobra et la percée dans le Cotentin."
L’auteur du livre Une certaine idée de la résistance conclu : " La bataille de Normandie a été horrible mais le débarquement a été un succès. Cependant n’oublions pas que la guerre a été gagnée à l’est. Mais les démocraties ont été plus fortes que le totalitarisme allemand. "
"Au 5 juin 1944, ce sont 5 soldats allemands sur 6 qui ont été tués à l’est". |
Une invasion, oui, mais chez le voisin ?
Jean-Luc Leleu, d'un ton plus posé, lui emboite le pas : " Jour J, D-Day, débarquement, invasion. On n’a pas besoin d’autres commentaires pour savoir de quoi on parle. C’est un marqueur fort comme peu de dates dans l’Histoire, alors que des débarquements, vous en avez bien d’autres, en Afrique du nord, en Sicile, dans le Pacifique. C’est sur le front de l’est que c’est joué la guerre. Au 5 juin 1944, ce sont 5 soldats allemands sur 6 qui ont été tués à l’est. En décembre 44, ce sont toujours 4 soldats allemands sur 6 qui périssent face aux troupes russes.
Pourquoi cette bataille fait-elle l’objet de commémorations des chefs d’états ? Comment en est-on arrivé à vouloir inscrire les plages du débarquement au patrimoine mondial de L’ UNESCO ? Il faut revenir en amont du 6 juin 1944. C’est d’abord une bataille de propagande, une guerre des nerfs. Il n’y’a pas d’exemple dans l’histoire contemporaine d’une autre bataille annoncée 3 ans à l’avance. Sur les ondes de la BBC, Churchill le 21 octobre 1940 avait prévenu les français, en français, suite au désastre de Dunkerque : "reposez-vous bien, l’heure libératrice viendra après la nuit". Cette menace prendra plus de poids après l’entrée en guerre des Etats-Unis. Début 1943, Churchill annonce que le débarquement se produira avant que les feuilles ne tombent. A l’automne, les allemands s’en moqueront à leur tour. Au printemps 44, tout le monde est convaincu qu’il y aura un débarquement et toutes les opinions publiques attendent l’heure fatidique. Vivement l’invasion, mais plutôt chez le voisin. Ce sont les allemands qui semblent le plus soulagés le 6 juin 1944. S’ils parviennent à repousser les alliés, ils pourront enfin concentrer leurs forces sur le front de l’est.
Le fameux discours de Churchill le 21 octobre 1940
Après-guerre, dans les années 50, la télévision s’empare du sujet, surtout du côté américain. Mais pour rappel le 6 juin 1944, ce sont les britanniques qui avaient le plus de combattants sur le sol normand. Incontestablement il y’a un avant et un après Le jour le plus long. Ce film est un pur produit de la guerre froide et nos images du débarquement y sont intimement liées. C’est une collusion entre l’art, le politique et le militaire. Imaginez Il faut sauver le soldat Ryan sans les 30 premières minutes. Heureusement que tout n’a pas été aussi facile que sur Utah Beach.
Nos souvenirs sont-ils sélectifs ?
Jean-Luc Leleu enchérit : Mais la mémoire elle aussi évolue sans cesse en fonction des idéologies. Quoique vous fassiez, vous étiez dans le bon camp. Nous étions les chevaliers blancs. N’oublions pas que les alliés ont délibérément bombardé les populations civiles allemandes. Pour la France, le débarquement est du pain béni. Cela a permis d’effacer la défaite de juin 1940, de la balayer sous le tapis. Et puis c’est très valorisant pour la France. Si on avait débarqué en Belgique, vous pensez que tous les chefs d’états viendraient assister aux commémorations ? Nous sommes dans le pays des droits de l’homme et des lumières.
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L’enjeu aujourd’hui pour les bas normands est de pérenniser le tourisme lié au débarquement. Mais il ne faut pas oublier que tout cela a eu un prix en termes de pertes, de violences pour sauvegarder la démocratie. En 1994, pendant les commémorations avec les chefs-d‘états se produisait au même moment un des pires génocides." ( ndlr : au Rwanda )
Vient alors le temps des questions-réponses avec le public. A l’interrogation : Sans le débarquement en Normandie, l’Allemagne aurait-elle tout de même perdue la guerre ? Jean-Luc Leleu a cette réplique : "oui. Mais avec un brin de provocation, je dirais que le débarquement a été important pour la suite, sous-entendu pour la guerre froide. Cette opération a évité que la Normandie ne soit libérée par l'armée rouge".
stephane samson
contact@plagesdu6juin1944.com
* auteur des ouvrages : Waffen SS : Soldats politiques en guerre ( éd. Broché ), Falaise 16/17 août 1944, un mythe revisité ( éd. Broché ), 10. SS-Panzer-Division Frundsberg : Normandie 44 ( éd. Heimdal )
** auteur d' Histoire du débarquement en Normandie aux éditions du Seuil
Conférence sur les cimetières provisoires américains
Par plagesdu6juin1944 | Le 10/10/2013 | Commentaires (0)
Le vendredi 25 octobre de 20h30 à 22h30 se tiendra à la mairie de Sainte-Mère-Eglise une conférence sur les cimetières militaires provisoires américains. L'occasion pour l'un des intervenants, Antonin Dehays*, de revenir sur cet événement.
Pourquoi cette conférence sur les cimetières provisoires ?
Antonin Dehays : Cette initiative émane du musée des troupes aéroportées de Sainte-Mère-Eglise et de son responsable scientifique, Stéphane Lamache. En effet, dans le cadre de la parution prochaine de mon dernier livre intitulé Sainte-Mère-Eglise. Un sanctuaire américain en Normandie. 1944-1948, publié chez OREP Editions (1er mars 2014), le musée a souhaité nous réunir, trois acteurs de l’été 1944 et moi-même, pour revenir sur une histoire méconnue, celle des cimetières militaires provisoires américains du canton de Sainte-Mère-Eglise établis au lendemain des combats du 6 juin 1944. Rien, ou presque, ne rappelle ce chapitre essentiel de l’histoire de ce village de la Manche, village dont la réputation a largement dépassé ses frontières.
Qu’a-t-elle de particulier cette histoire ?
La présence de ces cimetières temporaires (trois au total), soit approximativement 13 000 tombes, a simplement généré un lien très particulier entre le village de Sainte-Mère et l’Amérique tout entière. Ce même lien fraternel est toujours d’actualité. Imaginez que pendant quatre ans, il a fallu apprendre à vivre avec ces nécropoles, ce qui a engendré toute une série de pratiques culturelles et des comportements extraordinaires. Les cimetières, c’étaient des petits bouts d’Amérique dans le Cotentin, des sites ô combien exotiques où on allait se balader en famille le dimanche. C’était ces parcs qu’on n’avait pas par ici ! On s’y rendait par exemple pour une série de clichés à la suite d’une communion ou d’un mariage… Etrange voyage de noces me direz-vous !
Par ailleurs, cette histoire est aussi une excellente occasion d’étudier la manière dont le gouvernement et l’Armée américaine ont pris en charge leurs morts et la façon dont ils ont souhaité commémorer la mémoire des défunts tombés en Europe. Il m’a semblé opportun de raconter l’histoire fascinante des services chargés de l’enregistrement des sépultures américaines.
Comment se déroulera la conférence du 25 octobre ?
Il s’agira de revenir sur cette histoire inexplorée en s’appuyant sur toute une série de documents exceptionnels (photos, récits et bobines de films) issus de collections privées ou bien des archives nationales américaines où j’effectue des recherches au quotidien. La majeure partie de cette rencontre visera à donner la parole à ceux qui ont vécus les combats de juin 1944 et la construction des cimetières américains. Certains ont d’ailleurs travaillé pour l’Armée US au sein des nécropoles militaires du canton. Leur témoignage et leur regard sont à la fois hors du commun et surprenant. Je ne me lasse pas de les écouter…
* Doctorant en Histoire et déjà auteur du Livre "Sainte-Marie-du-Mont : Code Utah Beach" aux éditions du patrimoine normand